Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

milles de la capitale. Les deux plénipotentiaires du tsar concertèrent dans cette entrevue les mesures à prendre pour esquiver l’audience impériale. Le 4, à une heure avancée de la nuit, les voyageurs entrent dans Vienne ; le lendemain à l’aube, ils en sont déjà sortis et forcent les guides sur la route de Brünn. Ce procédé cavalier donna de l’humeur à l’empereur Charles; il écrivit en hâte au comte Coloredo, gouverneur de Brünn, le chargeant d’éclaircir la situation du tsarévitch. Le gouverneur devait retenir les Russes sous des prétextes de courtoisie; il avait ordre de voir le prince, de le sonder sur ses intentions et de le mettre en liberté si on l’entraînait contre sa volonté. Coloredo, mal instruit de toute la pièce qui se jouait depuis un an en Autriche, demanda aussitôt à saluer le fils du tsar de Russie, descendu dans sa ville. Ce soir-là, le prince dormait. Le digne gouverneur se représenta le lendemain; ce matin-là, le prince méditait et faisait le petit carême. Un serviteur finit par lui déclarer qu’il n’y avait pas du tout de prince. Cette fois Coloredo se fâcha tout rouge et insista pour voir le capitaine Tolstoï. Celui-ci prit les choses de très haut, refusa toute explication et protesta contre l’affront fait à son maître par une arrestation déguisée. Le général autrichien protesta plus fort encore, solennissime, dit son rapport, et sollicita de Vienne des instructions immédiates, tout ébahi de la tournure que prenait l’incident. L’empereur assembla son conseil; chacun des ministres consigna par écrit son opinion dans une note conservée aux archives de l’empire. Le cabinet était las de cette trop longue affaire du tsarévitch et des embarras qu’elle lui donnait. Il fut unanime dans le désir d’écarter cet hôte incommode en l’abandonnant à son malheureux sort. Alexis n’avait su se concilier l’estime de personne. Les deux principaux ministres, Schœnborn et Zinzendorf, opinent qu’il n’y a aucun fond à faire sur « ce prince vacillant, dépourvu d’intelligence. » Ils eussent mieux dit : dépourvu de caractère. On convint que, pour sauver la dignité de l’empereur, Coloredo devait être admis près du tsarévitch et lui débiter un compliment de politesse : après quoi on ouvrirait les routes à Tolstoï, sans plus s’inquiéter des sentimens de son captif. Muni d’instructions dans ce sens, le gouverneur de Brünn recommença ses démarches ; Tolstoï refusa de nouveau sa porte jusqu’à ce que les communications de Vessélovski et les confidences d’un courrier impérial l’eussent rassuré sur les suites de l’entrevue. Enfin, le 12 décembre, Coloredo se présenta avec une suite imposante, décidé à employer la force ; on le reçut, Alexis sortit de sa chambre entre Tolstoï et Roumiantzof. Le gouverneur lui exprima les gracieux sentimens de l’empereur et le regret qu’on éprouvait de ne l’avoir pas vu paraître à la cour. Le tsarévitch s’excusa en