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second professeur, ne ferait-il pas ce que font ses collègues des sciences et de l’histoire, ce qu’il fait lui-même dans l’enseignement spécial, où il professe la morale à certains jours? Pourquoi ne donnerait-il pas, en troisième, en seconde et en rhétorique, des leçons élémentaires sur les parties de la philosophie les plus propres à développer, comme on dit, à l’esprit et le cœur » de la jeunesse, telles que la morale et l’esthétique? Ces leçons n’exigeraient qu’une heure ou deux par semaine dans chaque classe. Pour avoir ce temps disponible, on supprimerait les vers latins et le thème grec ; on diminuerait le nombre des thèmes latins écrits et en général les devoirs écrits, le nombre des leçons à réciter par cœur, surtout des leçons en prose, et ce temps en apparence enlevé à la grammaire, à la littérature, à l’histoire, serait au contraire, comme nous le verrons tout à l’heure, un profit pour les études, qui deviendraient plus faciles, plus intéressantes et plus fructueuses. Cette extension de l’enseignement philosophique aux classes d’humanités permettrait en outre de réserver pour la dernière année l’étude approfondie et féconde des plus hautes questions, avec des jeunes gens déjà préparés à ces études et déjà imbus d’un certain esprit philosophique. Elle entraînerait par cela même une modification correspondante des programmes, sur laquelle nous devons nous étendre.

Les programmes sont chose plus importante qu’on ne l’imagine, surtout dans un pays où l’instruction est centralisée par l’Université, où les études ont pour sanction des examens, et où ces examens ouvrent l’accès d’une foule de carrières. On prétend qu’une question bien posée est à moitié résolue ; or, que sont les programmes, sinon des positions de problèmes? Avec le progrès des sciences changent et les problèmes et les manières de les poser, si bien qu’aujourd’hui certaines questions qui passionnaient nos pères nous paraîtraient inintelligibles ou risibles. « Montre-moi tes programmes, et je te dirai qui tu es. » On pourrait reconstruire toute une société d’après ses programmes d’instruction, encore mieux qu’un animal fossile d’après une dent ou un os. Vous me présentez par exemple ce questionnaire fort mélangé et traduit du latin : « Quelle différence y a-t-il entre la quiddité et l’eccéité? Qu’est-ce que la forme substantielle? Où était Dieu avant la création? L’Esprit-Saint procède-t-il à la fois du Père et du Fils, ou seulement du Père? Quelle était la taille d’Adam à son apparition sur la terre? Adam, qui n’était pas né d’une femme, avait-il un nombril? Dieu aurait-il pu devenir une femme aussi bien qu’il a pu s’incarner dans un homme? La souris qui mange l’hostie consacrée mange-t-elle le corps du Seigneur? Quelles sont les douze chambres du zodiaque et leur influence sur la destinée? Qu’est-ce que le