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de bonne heure aux enfans les fondemens rationnels du devoir. Si on ne le fait pas, il arrive de deux choses l’une : ou l’enfant est livré tout entier aux représentans de la foi religieuse qui lui persuadent qu’il n’y a aucune honnêteté, aucune morale possible en dehors de telle ou telle croyance particulière, et il acquiert ainsi un fâcheux esprit d’intolérance; ou au contraire il est entraîné de bonne heure par l’exemple même de ses camarades, quelquefois de ses parens, à une sorte d’incrédulité, et alors il est à craindre qu’il ne confonde dans un scepticisme précoce le dogme et la morale. Quand on l’habitue à identifier ces deux choses, on arrive trop souvent à rejeter les deux à la fois et à justifier aussi le double sens du mot libertinage, qui désigne d’abord la liberté de l’esprit et finit par désigner celle des mœurs. Un enseignement moral bien dirigé préviendrait à la fois les deux grands maux de la société, principalement en France, fanatisme et scepticisme. On reproche à nos sociétés modernes, surtout dans les internats, de donner plutôt ses soins à l’instruction qu’à l’éducation : il y a du vrai dans ce reproche. Les élèves trouveraient autant de profit que d’intérêt à entendre des leçons de morale faites par le professeur de philosophie, — leçons à la fois scientifiques et chaleureuses, en harmonie avec nos sentimens modernes, et d’autant plus persuasives qu’elles seront plus laïques. Nous nous souvenons avec quel respect nous avons toujours vu accueillir, quand il entrait par extraordinaire dans une classe d’enfans, ce professeur de philosophie dont les élèves habituels sont ceux que les autres appellent par excellence les « grands, » c’est-à-dire les futurs bacheliers, les futurs candidats aux écoles. Le professeur de la plus haute école fait nécessairement l’effet d’un général dans l’ordre militaire. Cette sorte de « prestige » qui appartient auprès de notre jeunesse universitaire à la philosophie et à ses représentans, pourquoi ne pas l’utiliser pour répandre de bonne heure une véritable doctrine morale et sociale, surtout dans un pays et sous un régime où les doctrines religieuses sont si évidemment insuffisantes? La philosophie est la religion publique des démocraties, et nous avouons que nous n’aurions pas grande confiance dans l’avenir d’une république sans philosophie. Si prêtre et roi vont bien ensemble, toujours aussi on a rapproché ces deux titres : philosophe et citoyen.

On nous dira que l’étude des lettres a déjà par elle-même une vertu moralisatrice. Sans doute, mais cette étude n’aboutit qu’à des notions de morale confuses, principalement pour ce qui concerne les exigences de la vie en société ; quant à l’étude des sciences, il faut reconnaître qu’elle n’exerce guère d’influence sur le cœur : si elle est la base de l’instruction proprement dite, elle est peu de