Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose dans l’éducation. Il y a longtemps que Socrate disait : « Qui sait si toutes les sciences, sans la science du bien, ne seraient pas plus nuisibles qu’utiles? » « Les sciences ont besoin, disait aussi Platon, d’une science maîtresse qui mette en usage les vérités découvertes par elles et fasse servir la vue du vrai à la réalisation de l’utile et du bon. » — « La science des choses extérieures, écrivait à son tour Pascal, ne me consolera pas de l’ignorance de la morale au temps d’affliction ; mais la science des mœurs me consolera toujours de l’ignorance des choses extérieures. » L’instinct et le sentiment ne suffisent plus pour guider sûrement les volontés, surtout dans les sociétés modernes, surtout dans les relations de la vie civique et politique : un être raisonnable a besoin de connaître les raisons de ses devoirs et de ses droits. Aussi ne craindrons-nous pas de le dire, si l’étude de la physique, de la chimie, de l’histoire et des autres sciences spéciales demeure en quelque sorte facultative, l’étude de la philosophie morale et sociale, dès qu’elle est possible, devient moralement obligatoire. Puisque l’état surveille l’éducation, il se fait lui-même éducateur, comme c’est son droit; il accepte par là même la tâche d’initier les enfans de bonne heure à la vie humaine et civique, à ce qu’on appelle fort justement les « devoirs de l’homme et du citoyen, » Pour mettre cet enseignement à la portée des jeunes intelligences, il n’est pas besoin d’en bannir la rigueur scientifique, l’ordre et la méthode, qui peuvent au contraire le rendre plus facile à saisir et à retenir ; il faut seulement éviter l’abstraction et placer toujours un exemple à côté du précepte[1]. On emprunterait de préférence ces exemples à l’histoire. On ferait lire aux élèves les principales pages des moralistes anciens, en leur faisant remarquer tout ensemble les analogies et les différences entre les idées anciennes et nos idées modernes. On ferait parler successivement Platon, Xénophon, Aristote, Epictète, Marc-Aurèle, Plutarque, Cicéron, Sénèque : les élèves recevraient tout ensemble une leçon d’histoire, une leçon de goût et une leçon de conduite. Ces études de mœurs et de style auraient pour le moins autant d’intérêt et plus d’utilité que l’analyse grammaticale, le thème grec ou les vers latins. Elles feraient comprendre aux enfans, avec les formes successives de la société depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, le progrès correspondant des sentimens moraux ou sociaux et les exigences croissantes de la vie civique. On se plaint que les jeunes gens, quand on leur donne à traiter un

  1. C’est ce qu’on ne fait pas assez. Il y a par exemple d’excellens cours de morale composés pour les élèves de l’enseignement spécial par M. Franck (la Morale pour tous) et par M. Janet (Traité élémentaire de morale); mais MM. Franck et Janet nous sauront gré de les avertir que leurs livres ne sont pas encore assez à la portée du public auquel ils s’adressent.