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sujet qui exige autre chose que des mots ou des phrases creuses, n’ont point d’idées : comment en auraient-ils si on ne leur en fournit pas? La philosophie morale et sociale est l’âme de la littérature : si vous voulez que les jeunes gens aient du « fond, » initiez-les de bonne heure à cette étude essentielle[1].

L’antiquité ne séparait point le bien du beau ni du vrai : la morale tient de près à l’esthétique et à la logique largement entendue. A la philosophie des mœurs nous voudrions donc voir succéder, dans les classes de seconde et de rhétorique, où les études littéraires et scientifiques prennent une importance croissante, les élémens de la philosophie de l’art et ceux de la philosophie des sciences. Les cours de littérature pure faits aux élèves selon les anciennes méthodes manquent forcément d’élévation : on s’y perd souvent dans des détails sans intérêt sur les différens genres littéraires, sur leurs règles plus ou moins conventionnelles, sur les figures de pensée ou de style, et autres doctes futilités. Ils sont de plus incomplets parce qu’ils roulent exclusivement sur la littérature sans se préoccuper des autres arts; enfin, ils sont en réalité cent fois plus abstraits, plus techniques et plus ingrats que ne le sont les études philosophiques et historiques relatives au beau et aux beaux-arts. Aussi tend-on de plus en plus dans l’Université à remplacer la littérature dogmatique par l’histoire de la littérature, dont l’enseignement d’ailleurs est encore très insuffisant dans nos lycées[2]. Mais l’histoire de la littérature n’est pas assez pour développer et éclairer le sens du beau sous toutes ses formes. La critique de littérature et d’art a elle-même besoin de principes. Dès qu’elle ne se borne pas, selon la méthode des jésuites, à de simples remarques sur « l’élégance» d’une expression, lactea ubertas, sur « l’harmonie imitative » d’un vers, procumbit humi bos, sur la propriété d’une épithète, obscuri sola sub nocte, elle est obligée de remonter à ces hautes questions: Quels sont les caractères généraux de la beauté, du sublime, du risible, de la grâce? Qu’est-ce que l’art? est-ce une simple imitation de la réalité? Est-ce une recherche de l’idéal? Qu’est-ce que le naturalisme et l’idéalisme dans l’art? quelle est la part de vérité qui appartient à ces deux tendances? Qu’est-ce que l’invention artistique, le génie, le goût? Qu’est-ce que l’expression dans l’art? Quels sont les différens moyens d’expression dont l’homme dispose? Quels sont les différens arts, leurs caractères, leurs procédés essentiels, leur puissance propre, leurs diverses forces? Qu’est-ce que le style dans les différens arts? Quelles sont les sources de l’art? etc.

  1. Ce que nous avons dit des lycées s’applique en partie aux écoles primaires. Là aussi la morale civique et les lois du pays doivent être enseignées.
  2. Au moins pour l’enseignement classique, car l’enseignement spécial, supérieur ici encore à l’autre, possède un programme étendu et très intéressant d’histoire littéraire.