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sa vraie place, sans confusion. Il y a dans la philosophie une partie positive ou scientifique, une partie conjecturale ou métaphysique. La période adulte, pour une science, se reconnaît à l’exacte séparation de l’hypothétique et du certain : tant que cette distinction n’est pas faite, l’astronomie demeure astrologie, la chimie alchimie, la philosophie théologie. Le mélange actuel des questions scientifiques et des questions métaphysiques dans les cours ou les traités de philosophie n’est propre qu’à répandre des préjugés injustes contre la philosophie elle-même, d’abord dans l’esprit des élèves, puis dans l’esprit du public, qui finit par englober le certain comme l’incertain dans le même scepticisme. Nous séparerons donc avec soin, dans les programmes et dans les cours, les questions susceptibles de vérification expérimentale ou de démonstration logique, et les questions qui dépassent la portée de l’expérience simple ou du simple raisonnement[1]. Ces dernières, mal à propos introduites dans la psychologie par les auteurs des anciens programmes, doivent être réservées pour la fin du cours, car elles sortent du domaine de la science proprement dite, malgré les prétendues démonstrations de la liberté et de la spiritualité empruntées aux théologiens par la philosophie traditionnelle. Certaine métaphysique est comme une tour en ruines que l’éloquence et la poésie peuvent bien recouvrir de lierre, mais qu’elles ne peuvent rendre habitable. La première partie du cours de philosophie sera donc intitulée modestement : psychologie expérimentale et scientifique. On en éliminera les considérations surannées sur les facultés, sortes de vertus occultes qui rappellent trop le moyen âge. On mettra en première ligne les phénomènes les plus voisins de la vie purement physiologique et animale : mouvemens, habitudes, habitudes héréditaires, instincts[2]. Puis viendront les faits de sensibilité et ceux d’intelligence. Quant à la volonté, on ne l’étudiera ici qu’au point de vue expérimental et d’après la conscience, non au point de vue métaphysique. Ces relations du physique et du mental devront être constamment

  1. Nous regrettons de ne pas trouver ce partage dans les traités de philosophie les plus récens, même dans l’excellent traité de M. Paul Janet, qui marque un si grand progrès sur ses devanciers. M. Janet a introduit, avec raison, au début de sa psychologie, des élémens de physiologie; il nous semble en faire par la suite, il est vrai, un usage trop restreint; il n’en a pas moins donné l’exemple, sur ce point, d’une heureuse innovation ; — en revanche, il est resté beaucoup trop fidèle, selon nous, à la tradition scolaire, en mêlant à la psychologie les problèmes métaphysiques sur l’origine des idées et l’essence de la raison, sur l’essence de la liberté, sur les rapports de la liberté avec la prescience divine, sur la spiritualité de l’âme et le matérialisme, ainsi que les hypothèses relatives à l’union de l’âme et du corps, etc. Voir le Traité élémentaire de philosophie à l’usage des classes, par Paul Janet; Paris, 1880.
  2. C’est ce qu’a fait M. Janet, qui a d’ailleurs rejeté trop loin, à notre avis, les faits d’habitude et d’hérédité sans lesquels les instincts sont inintelligibles.