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des solutions de toutes les difficultés, mais, comme nous venons de le dire, à montrer les difficultés mêmes et à faire l’histoire des principales solutions proposées : ne marquons-nous pas sur nos cartes les sommets inaccessibles comme ceux qui ont été gravis? Ils oublient aussi que les cours de nos Facultés sont très peu suivis et que les études qui leur sont renvoyées deviennent le partage d’un très petit nombre. Ils oublient enfin que, si on n’aborde pas les problèmes métaphysiques au collège, on livre par cela même les jeunes gens, sans aucun contrôle, aux solutions plus ou moins hasardeuses et contradictoires qu’en fournissent soit les religions, soit les journaux, soit les livres de polémique. L’instinct métaphysique est inné à l’homme : les positivistes auront beau faire, on se demandera toujours : — Que suis-je? d’où suis-je venu? où vais-je? La nature est une immense magie, comme disait le Bouddha; autre est ce qui paraît, autre ce qui est; quelle est donc, derrière toutes ces apparences, la réalité qui se trahit et se dérobe à la fois? — Quand même l’homme ne pourrait acquérir là-dessus une science proprement dite, du moins doit-il toujours chercher à s’en faire une opinion raisonnée. Les positivistes prétendent que les problèmes dont la métaphysique cherche la solution n’ont pas encore été résolus ; accordons-le. Ils ajoutent que ces problèmes ne seront jamais résolus et sont insolubles; accordons-le encore, quoiqu’ils n’aient point fait la démonstration; la nécessité de la métaphysique n’en subsiste pas moins. Que sera-t-elle, dans cette hypothèse? L’étude critique des problèmes que l’esprit se pose par une nécessité de sa nature, quoique une autre nécessité de sa nature le rende incapable de les résoudre. Est-il vraisemblable que nous soyons faits pour nous demander toujours ce que nous ne saurons jamais ? Peut-être ; mais en admettant cette doctrine de découragement, il faudra toujours s’occuper des questions métaphysiques, ne fût-ce que pour bien déterminer celles qui sont vraiment insolubles et pour quelles raisons elles sont insolubles. Qui ne connaît le dilemme toujours vrai d’Aristote: «S’il faut philosopher, il faut philosopher; s’il ne faut pas philosopher, il faut encore philosopher (pour donner les preuves de cette assertion) ; il faut donc toujours philosopher. » Au reste, de ce qu’un problème n’a pas encore été résolu, on n’a point le droit de le déclarer insoluble, à moins qu’on n’en ait donné, comme disait Kant, une solution négative parfaitement certaine, semblable à celle de la quadrature du cercle. Les positivistes se gardent bien de nous donner cette solution : ils s’abstiennent, voilà tout, et on a pu définir spirituellement leur philosophie une abstinence. Pourquoi donc, leur demanderons-nous, avec Stuart Mill, refuser de laisser « des questions ouvertes? » Pourquoi fermer les perspectives sur l’univers,