Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de différens partis, il s’éclairoit et discernoit ainsy la vérité, parce qu’il la cherchoit et se gardoit par là des surprises, et presque toujours en se promenant, il appeloit tantost les uns, tantost les autres, sans que la plus part s’attendissent à ces conversations qui duroient plus ou moins, selon que l’instruction qu’il en vouloit tirer l’exigeoit, quelquefois sans qu’ils s’en aperçussent. C’est ce qui s’appelle sçavoir régner. » (P. 33’.)

Arrêtons-nous sur ce dernier mot. Le portrait qu’a tracé Saint-Simon est sincère et fidèle. Il a compris le règne d’Henri IV, il a jugé l’homme et le roi en historien consommé. S’il a été sévère pour les faiblesses du prince, il a vu clairement les ressorts de sa politique, les a loués sans réserve, et malgré la pensée hautement avouée du Parallèle, il a rendu à la vérité un tel hommage que sa conclusion trouve ici sa place naturelle, lorsqu’il répète en terminant la dernière comparaison entre les trois rois : « On ne peut trop admirer l’adresse, la patience, la sagacité d’Henri IV, de quelle façon il s’en tira pour occuper et accoustumer ensemble les huguenots et son nouveau parti de catholiques, comme il sceut nager entre les uns et les autres, tirer de chaque chef et de chaque personnage tout ce qui étoit possible, le suivre de l’œil et les contenir dans le cabinet, dans les camps, dans les combats; faire ses choix et ses combinaisons avec prudence et justesse ; savoir tirer parti de tout et employer chacun où il convenoit le mieux. » Tel fut Henri IV.


II. — LOUIS XIII.

Saint-Simon, qui avait su se montrer historien et dominer ses passions, allait-il échouer en abordant le portrait de Louis XIII ?

Il avait dix-huit ans quand il perdit son père, âgé de quatre-vingt-sept ans. En écoutant les récits du vieillard, il avait appris tout jeune à aimer le passé et l’histoire; et avec l’empreinte de ces premières émotions, il reçut comme un legs pieux le culte du roi que son père avait servi. « C’étoit, disent les Mémoires, la vénération, la reconnoissance, la tendresse même qui s’exprimoit par la bouche de mon père toutes les fois qu’il parloit de Louis XIII. » Saint-Simon avait hérité de ces sentimens. On a vu que, pour leur rendre un plus digne hommage, il mit la main au Parallèle. Piété filiale digne à coup sûr de notre respect, mais qui doit en même temps nous mettre en garde contre les entraînemens de la passion chez un écrivain qui se pique toujours d’impartialité et qui s’en est montré si rarement capable ! Au moins, ne pouvons-nous pas nous plaindre d’être pris au dépourvu. L’auteur nous a découvert son dessein : parcourons avec lui la triste existence d’un roi dont la