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qu’après avoir été délibérées entre le roy et Richelieu dans le plus profond secret. Qui donc peut dire, puisqu’il n’y avoit point de tiers, quelle part chacun d’eux a eue à les concevoir le premier, à les digérer, à décider sur la manière de diriger et d’exécuter, lequel des deux a ajouté, diminué, corrigé? Si on peut très aisément penser que Richelieu y a eu la meilleure part et quelquefois tout entière, peut-on raisonnablement contester que Louis n’y en ait pas eu aussy, et, puisqu’elles n’ont pas eu leur exécution sans son approbation. sa volonté, son concours de roy et de maistre, il les a donc bien entendues et comprises, il en a senti tout le bon, tout le possible, tous les moyens, toute la conduite. Je le répète, on ne luy nia jamais l’esprit, la valeur, la capacité militaire, le goust du grand. Joignons-y cette modestie, cette humilité, ce mépris, ce détachement de soy-même, cette aversion de louanges si supérieure qu’il les tarit, cette tranquille sérénité avec laquelle il en vit combler son premier ministre, et il en résultera qu’on ne peut avec justice oster à Louis une très grande part à tout ce qui s’est conçu et exécuté de grand pendant son règne, et qu’en même temps il n’estoit pas possible que toute la gloire n’en revînt dès lors à Richelieu et ne luy soit depuis demeurée. Quel comble de gloire pour Louis XIII de le sçavoir également mériter et mépriser, et que cette sorte de gloire est héroïque et unique ! » (P. 173.)

Quel que soit le sentiment de celui qui lit ce passage, que, dans le débat sur ce point obscur de l’histoire, il se range avec la majorité des écrivains du côté du tout-puissant ministre ou qu’il tienne pour méconnus les mérites cachés du roi, il doit convenir que Saint-Simon discute ce problème avec une force et une modération qui touchent. Nous sommes bien loin du grand seigneur arrogant et dédaigneux qui tranche et qui condamne; point de colère ni d’exagération en une matière où l’auteur met cependant tout son cœur; il sait en refouler les élans pour garder le ton calme du juge. C’est avec la même possession de lui-même et de son style qu’il poursuit le raisonnement. « On ne peut savoir, dit-il, ce qui se passoit tête à tête entre Louis XIII et Richelieu dans leurs délibérations secrètes que par des indices. » Aussi les recueille-t-il avec soin et s’arrête-t-il quelque temps au récit de deux circonstances dans lesquelles aurait éclaté le désaccord entre le roi et le ministre.

C’était en 1629, pendant l’expédition contre le duc de Savoie. L’armée royale se trouvait arrêtée par les fameuses barricades de Suze élevées par Charles-Emmanuel pour se donner le temps d’attendre les Impériaux et les Espagnols dont les troupes venaient à son secours. D’après Saint-Simon, les trois maréchaux Schomberg, Créquy et Bassompierre estimant la marche en avant impossible, le cardinal aurait représenté au roi « la nécessité d’une prompte