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désiroit. C’est ce que tous les tems racontent des plus grands et des plus judicieux rois à l’égard des ministres d’une capacité supérieure et c’est entre une infinité de louanges une de celles que mérite Louis XIII d’avoir sceu discerner les propositions de son premier ministre sans opiniâtreté, sans faiblesse, sans jalousie, profiter sagement et s’adapter un génie si vaste, si grand, si lumineux pour le bien de son royaume et pour son propre soulagement. Le maistre et le ministre estoient donc tellement distincts que chacun d’eux demeuroit en sa place et tellement un par la confiance et par l’espérance qui la fortifioit sans cesse qu’il n’est pas possible de distinguer dans le gouvernement ce qui venoit de l’un ou de l’autre. »

Après avoir lu ces fragmens sur les rapports du roi et du cardinal, peut-on refuser à Saint-Simon l’impartialité dont il se vante avec tant de complaisance au moment où il commence ce chapitre ? Pour qui est familier avec son style chargé de passion et tout en relief, rien de plus surprenant que le contraste qui nous est offert par cette page où il refoule ses sentimens, suspend sa conclusion, pèse les argumens, où il fait en quelque sorte œuvre de critique et se montre moins peintre qu’historien. Il y a là un effort d’esprit d’autant plus intéressant à signaler, qu’il est plus rare dans les Mémoires et qu’en parlant du roi auquel il avait voué un culte, Saint-Simon avait plus de peine à se garder de tout excès.

C’est en traitant des vertus privées de Louis XIII que l’auteur du Parallèle se laisse aller aux élans de son cœur ; l’austérité de Saint-Simon est connue : sa colère contre les bâtards ne vient pas seulement d’une querelle de vanité; il a toujours vu en eux le signe vivant d’un double adultère. Des désordres de Louis XIV, des faiblesses même de Henri IV, il ne peut parler de sang-froid, et on ne rencontre pas sous sa plume un mot d’excuse pour un de ces entraînemens envers lesquels ses contemporains se montraient si indulgens. Sur le père et sur le fils de Louis XIII, sur leur descendance illégitime, l’historien venait de s’exprimer sévèrement ; il arrive à son héros : « Ce n’est pas, dit-il, que l’amour n’ait point eu de prise sur luy, mais il a su s’en défendre et le dompter. Je ne craindrai pas d’en donner la preuve transcendante, quoiqu’aux dépens de mon père. C’est un hommage que je dois à la vérité et à un si grand exemple, et mon père qui m’a souvent raconté ce fait si rare, me sçauroit gré luy-même, s’il estoit au monde, de l’usage que j’en fais ici. Il estoit fort jeune et fort galant. Il avoit six ans de moins que Louis XIII; il n’estoit pas dans un âge à se faire un scrupule des bonnes fortunes, ni à y comprendre qu’un homme bien amoureux s’en tînt là volontairement. Les Mémoires de ces temps-là sont pleins des empressemens de Louis XIII pour Mlle d’Hautefort, fille d’honneur