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Le premier but d’un intendant est d’arriver à une des cinq ou six grandes intendances, et le second de parvenir à une place de conseiller d’état et peut estre dans le ministère. Il n’y en a que vingt- quatre de robes : y arrive qui peut, à travers le crédit de parens de ministres et des magistrats à places singulières. C’est un triste état pour un intendant de persévérer dans les intendances ordinaires, un plus fâcheux de perdre l’espérance de conseiller d’état. Enfin rien n’égale le mépris et le néant dans lequel un intendant révoqué achève sa vie. C’est ainsi que tout se compense et que ces tout-puissans sont dans la main des ministres sans moyens et sans force, à leur bon plaisir, comme des roseaux, toujours dans la frayeur d’en estre écrasés. Tel fut l’art d’anéantir partout grands, seigneurie, noblesse, corps, particuliers par des gens de rien, par eux-mêmes. » (P. 295.)

A côté de ce tableau si énergique des incessans progrès de l’autorité centrale dont les Mémoires ne contenaient pas même un abrégé, nous voulons placer le morceau de Saint-Simon sur la révocation de l’édit de Nantes. Il semblait que l’auteur du Parallèle dût renoncer à lutter d’éloquence avec lui-même en un sujet qu’il venait de traiter de main de maître. On connaît le passage des Mémoires[1]. On pourra juger si celui-ci cède au premier en vigueur et en éclat. « Cette même année fut celle de la révocation de l’édit de Nantes, conseil pernicieux et plus pernicieusement exécuté. Toute cette trame fut conduite par Louvois, le confesseur et Mme de Maintenon, à l’insu de tout autre... Louvois, qui n’en comprit que trop les conséquences, trouvoit son double avantage en ce que l’exécution telle qu’il la méditoit ne se pouvoit faire que par des troupes, conséquemment par luy à qui cela alloit donner des rapports continuels avec le roy que la paix rendoit plus rares, — et en ce qu’un pareil événement alloit aliéner pour longtemps tous les protestants de l’Europe et les porteroit à la guerre qui est ce qu’il désiroit le plus ardemment, et ces deux raisons l’entraînèrent à procurer toutes les horreurs de l’exécution. Colbert, le seul homme qu’il eust pu craindre dans le partage du secret et seurement pour l’opposition ferme et soutenue, estoit mort depuis deux ans. Ainsi, parfaitement libre, il picqua le roy de la gloire d’exterminer des gens qui, ligués ensemble et soutenus par les puissances étrangères de leur communion, avoient tenu teste à tous ses prédécesseurs, depuis François premier, et, tous abatus qu’ils se trouvoient, ne perdroient jamais l’espérance de se relever ni celle de parvenir à faire un estat dans l’estat, avec toute l’indépendance

  1. Mémoires, édition Chéruel, 1820, t. XII, p. 22.