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fait mention, en 791, de l’abbaye de Psalmodi et de la tour Matafère construite au milieu des étangs pour la défense du pays périodiquement ravagé par les Sarrasins. La tour Matafère de Charlemagne paraît avoir été le berceau de la ville de saint Louis. Sous sa protection vinrent se grouper quelques cabanes de pêcheurs; le petit bourg prit bientôt de la consistance ; et, lorsque le roi de France, qui ne possédait en propre aucun port sur la Méditerranée, fit vœu de se croiser, il s’empressa d’acheter aux seigneurs abbés de Psalmodi la petite ville d’Aigues-Mortes et tout le territoire circonvoisin qui était une dépendance du monastère. Son premier soin fut de construire à grands frais un donjon destiné à protéger les pèlerins et les marchands qui stationnaient dans la ville avant de s’embarquer pour la terre-sainte. Ce fut la célèbre tour de Constance, l’un des plus remarquables monumens militaires du XIIIe siècle. Un bref d’Innocent IV, adressé à l’évêque d’Uzès au mois de décembre 1246, une lettre du pape Clément IV au roi de France, datée de 1266, mentionnent cette imposante forteresse, turrim opere sumptuoso, et en parlent avec admiration et reconnaissance. Sur la plate-forme on disposa un petit farot qui est bien certainement le plus ancien phare des côtes de Provence et de Languedoc. Le bras du Rhône qui passait dans les étangs situés autour de la ville fut recreusé de manière à permettre aux galères de pouvoir naviguer entre la plage de Boucanet et le pied de la tour. Les traces de cet ancien chenal, atterri sur presque tout son parcours, existent encore à travers champs; on l’appelle «le Canal-Viel ; » à mi-chemin entre Aigues-Mortes et la mer on voit, sur ses rives bordées de roseaux, des pierres tumulaires qui marquent la sépulture de quelques chevaliers morts avant leur départ pour la croisade. Tous ces vestiges constituent le meilleur argument que l’on puisse opposer à ces théories bizarres du reculement de la mer depuis saint Louis, qui trouvent encore aujourd’hui un accueil si facile et que tant de gens répètent parce qu’ils les ont entendu énoncer une fois.

Le port d’Aigues-Mortes était donc au XIIIe siècle un port intérieur établi dans le fond des étangs; les vaisseaux stationnaient au pied de la tour de Constance; ils se rendaient au grau de la plage en suivant un chenal sinueux que les courans du Rhône avaient ouvert dans le principe, mais qu’on avait été obligé de recreuser pour assurer une communication permanente entre la ville et la mer. C’est, on le voit, le même mode de navigation qui existe dans toutes les lagunes et qui est encore pratiqué de nos jours entre Venise et l’Adriatique, depuis le célèbre quai des Esclavons jusqu’aux passes maritimes de Brondolo, de Chioggia et de Malamocco.

Quoique le plafond général de la lagune se soit considérablement