Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exhaussé depuis six siècles, la navigation entre Aigues-Mortes et la mer a lieu comme autrefois au moyen d’un canal maritime. Aujourd’hui comme au XIIIe siècle, le chenal traverse une large dépression de terrains souvent inondés, franchit les deux lignes de dunes du cordon littoral, s’engage dans l’étang du Repausset et vient aboutir à la plage où se trouve une dd ces grandes coupures que l’on appelle des graus (gradus, passage) et qui établissent une communication permanente entre les eaux de la mer et celles des étangs. Ce grau est le Grau du Roi.

Son existence est signalée pour la première fois en 1585 aux états de la Province tenus à Béziers. Il est donc probable qu’à la suite de quelque coup de mer ou plus vraisemblablement de quelque grande inondation du Rhône, il s’est produit en ce point une rupture de la frêle barrière du cordon littoral ; les eaux gonflées de la lagune, ne pouvant s’écouler assez vite par le seul grau de Boucanet, s’ouvrirent alors un chemin plus court à travers la plage. Ce fut une nouvelle porte sur la mer; elle avait l’avantage de se trouver tout à fait en face d’Aigues-Mortes : elle abrégeait la route des navires et fut immédiatement adoptée par les bateliers; on l’appela tout d’abord le grau des Consuls. Quelque temps après, à la suite de lettres patentes que le roi Henri IV avait délivrées le 6 octobre 1592 pour les réparations du port d’Aigues-Mortes, on lui donna le nom de grau Henri. Cependant le chenal et le grau, livrés à eux-mêmes sur une plage instable et formée de dunes mouvantes, ne tardèrent pas à être encombrés de sables, et on reconnut alors la nécessité de les régulariser et de les maintenir par des jetées en maçonneries s’avançant en mer. Mais il fallut bientôt subvenir à des dépenses plus urgentes, et les premiers travaux de consolidation furent presque aussitôt suspendus que commencés. Le port de Cette d’ailleurs, qui venait d’être ouvert, détournait l’attention de celui d’Aigues-Mortes ; et ce ne fut qu’en 1725 que M. Senès, ingénieur du roi dans le Languedoc, reprit les travaux projetés par Henri IV. Interrompus à plusieurs reprises, toujours menés avec beaucoup de lenteur, ils ne furent terminés que vingt ans après. En 1745 seulement, M. Mareschal, directeur des fortifications de la Province, terminait les deux môles du grau désormais solidement fixé. On l’appela, on l’appelle encore le Grau du Roi. Un petit hameau de pêche s’établit rapidement à droite et à gauche de cette ouverture et porte le même nom. Le souvenir des croisades est tellement vivant sur cette plage d’Aigues-Mortes, que pour beaucoup de personnes cette désignation rappelle le roi croisé qui avait choisi cette partie du littoral comme point d’embarquement de sa flotte. On voit qu’il n’en est rien. Le grau et le bourg sont tout à fait modernes ; ce n’est pas saint Louis qui a