Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/470

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les symboles de la richesse; contre ce piédestal appuyez mon épouse, qu’elle verse des larmes de joie, qu’un de ses bras posé sur l’épaule de son enfant elle lui montre de l’autre notre bienfaitrice commune; que cependant ta tête et la poitrine nues, comme c’est mon usage, l’on me voie portant mes mains vers une vieille lyre suspendue à la muraille. » Là-dessus il prétend qu’un artiste ami lui répondit: « Je vois le tableau, » mais je crois qu’il se vante. Il serait curieux pourtant de savoir si cette toile existe quelque part.

Après cela, qu’en général, et bien avant Diderot, la préoccupation du sujet ait été le défaut et j’ose dire, la grande raison d’infériorité de la peinture française, il n’y a pas à le contester[1] Telle toile de Poussin lui-même est ordonnée, répartie, distribuée comme une pièce littéraire, comme un sermon de Bourdaloue, par exemple, ou de Massillon.

Étudiez sommairement au Louvre le tableau de la Femme adultère. Comme il s’en faut que ce soit une des bonnes toiles de Poussin, on y saisit à nu le procédé de composition Au fond, des lignes d’une architecture massive précisent le lieu de la scène. Au premier plan et au centre de la toile; Jésus, dans une attitude dont j’avoue que je ne saurais clairement définir la signification, forme groupe avec une créature lourdement affaissée, sous le poids de la honte. De quel crime est-elle coupable ? Regardez au second plan. Cette autre femme qui porte un enfant sur ses bras et qui contemple la scène avec une expression d’étonnement tempéré d’un peu de compassion, c’est la mère, c’est l’épouse fidèle et chaste qui, par sa seule présence, vous donne ingénieusement l’explication du groupe principal. En effet, le crime de la femme adultère, c’est la violation de la foi conjugale, mais la foi conjugale ne s’échange entre l’homme et la femme que pour assurer la perpétuité de la famille. Cependant, de droite et de gauche, l’action se déroule par le développement de deux groupes symétriques ; ils contiennent chacun cinq personnages, dont les attitudes se balancent et s’équilibrent; les couleurs aussi se répondent. De ces spectateurs assemblés, les uns ont compris la parole divine : ce sont des jeunes gens et des vieillards.


A l’âge où l’on croit à l’amour,


comme dit le poète, on pardonne aisément la faute de la femme; on l’excuse quand on touche au déclin de la vie. Ceux-là font donc le geste de l’approbation à peine contenue ; ceux-ci le geste de la prudence qui suspend son jugement, qui n’ose pas absoudre, et pourtant qui ne voudrait pas condamner. Les mœurs de chaque âge sont ainsi fidèlement observées.

  1. Remarquez comme quoi, par une contradiction démonstrative, dans notre école moderne, l’absence du sujet a fait la supériorité du paysage et du portrait sur presque tous les autres genres.