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L’APÔTRE DE LA DESTRUCTION UNIVERSELLE.

fut fondée. Néanmoins ces efforts de propagande n’eurent aucun succès. Un journal socialiste allemand de Hambourg résumait ainsi, assez mélancoliquement, les résultats de cette campagne : « Il se montre de plus en plus que la Norvège est un champ très ingrat pour les tentatives d’amélioration du sort de l’humanité. »

L’exemple de la Suisse et de la Belgique prouve que rien n’est plus efficace que la liberté pour atténuer les dangers du socialisme. C’est dans ces deux pays que l’Internationale a tenu ses congrès. Rien n’y a entravé sa propagande. Elle y a joui de la liberté absolue de réunion, de la presse, de l’association et de la parole, et cependant l’ordre n’a jamais été sérieusement troublé. En France, le droit de réunion et d’association n’existait pas ; l’Internationale a subi deux procès et a été définitivement interdite ; on a abouti à la commune. En Italie, les poursuites, les procès, les condamnations, les mesures exceptionnelles n’ont pas manqué, et on a eu des troubles, des insurrections et d’effroyables attentats. En Espagne, compression plus rigoureuse encore : la plupart des grandes villes tombent aux mains des cantonalistes insurgés. En Allemagne, tentatives répétées de régicides ; enfin en Russie, où toute liberté est supprimée, crimes inouïs et une situation pire qu’une révolution, car c’est la société elle-même qui est en état de siège. En tout pays, il existe deux partis, celui qui veut conserver ce qui est ou même retourner en arrière et celui qui vise à réformer et parfois, dans son impatience, à tout détruire. De même que le mouvement qui transporte notre globe est la résultante de la force centripète et de la force centrifuge, ainsi la société avance sous l’action combinée de l’esprit de conservation et de l’esprit de réforme. Tentez-vous de les comprimer, vous provoquez alternativement des révolutions et des réactions : donnez-leur un libre essor, et le progrès s’accomplira par une série de transactions et d’améliorations, comme en Angleterre, en Belgique et en Suisse.

La Suisse semblait un terrain admirablement préparé pour le socialisme. Dès 1843, Weitling y avait prêché le communisme. Les réfugiés des insurrections de 1848 y avaient fondé des associations, entre autres celle des « frères allemands » (Deutsche Brüder). Le Grütliverein, qui avait un journal, le Grütliamer, et des sections dans la plupart des cantons, était acquis aux idées démocrates socialistes. Les Russes Bakounine et Outine, les Italiens Rosetti et Ghalino, les agitateurs bannis de tous les pays arrivaient en Suisse, le seul asile qui leur restât sur le continent. L’apôtre de l’Internationale ici fut un ami de Marx, Joh. Phil. Becker. En 1864, il parvint à fonder la première section de l’association. Bientôt il s’en établit dans la plupart des villes et des centres industriels. Un moment on en compta trente-deux,