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partager les terres. Quand la propriété est le privilège de quelques-uns, la spoliation devient le vœu du plus grand nombre.

Voici maintenant le socialisme cosmopolite et nihiliste. Récemment se jugeait à Florence un procès contre une association d’internationalistes. Les accusés, au nombre de quinze, étaient presque tous des ouvriers très intelligens. Ils avaient été embrigadés par deux dames, dont l’une est Russe, Mme Koulischof, et l’autre Italienne, Mme Pezzi. Mme Koulischof est très instruite. Elle parle plusieurs langues et s’occupe de sciences. Elle suivait les cours de l’université de Pise. À la cour d’assises elle fait des mots. Quand on distribue l’acte d’accusation : « C’est juste, dit-elle, il faut faire circuler le libretto avant la représentation. » Elle expose hardiment ses théories communistes en toute matière. Mme Pezzi est à la tête de la section florentine des dames internationalistes. Le principal accusé, Natta, est un mécanicien très capable. Il développe le programme du parti socialiste auquel il appartient. Il veut l’anarchie, le collectivisme, la destruction de la famille juridique et l’abolition de toutes les religions officielles. On reconnaît aussitôt les doctrines de Bakounine. — Partout en Italie on m’a affirmé que le socialisme s’emparait des ouvriers et de la jeunesse. À Naples, les étudians me disaient : « Les avancés ne sont plus guère républicains. À quoi bon renverser un roi plus dévoué à son pays que le meilleur président ? Mais beaucoup d’entre nous sont socialistes. » À Bologne, le préfet, le marquis Gravina, me disait : « Je ne pense pas qu’il y ait plus de cinq cents ouvriers affiliés à l’Internationale, mais presque tous en ont adopté les idées. Dans les sociétés ouvrières que je visite, on me répète sans cesse : « Ceux qui ne font rien vivent dans l’opulence ; nous travaillons et nous sommes dans l’indigence. Cela ne peut pas durer. »

Les premières sociétés ouvrières ont été fondées en Italie sous l’inspiration de Mazzini. Elles datent de 1848. En 1863, on en comptait 453 avec 111,608 membres, et en 1875 plus de 1,000 avec environ 200,000 affiliés. Un grand nombre d’entre elles, — plus de 300, — se sont fédérées pour constituer « l’union fraternelle des sociétés ouvrières, » Società operaie italiane offratellate. Elles ont un comité directeur siégeant à Rome. Elles y tiennent presque chaque année un congrès. Mazzini, après sa sortie de l’Internationale, lui était devenu de plus en plus hostile à mesure qu’elle subissait davantage l’influence de Bakounine. Il lui reprochait premièrement de nier la notion de Dieu, la seule base du droit au nom de laquelle les travailleurs puissent réclamer justice ; secondement, de supprimer la patrie, la forme essentielle de la fraternité humaine, et enfin, troisièmement, d’abolir la propriété, le