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sur les institutions sociales. Cette tendance à l’utopie et cette hardiesse de rêves n’ont point disparu avec lui; transmises par cette force du sang qui a de si singuliers effets, elles sont arrivées jusqu’à nos jours, où nous les avons vues revivre dans les inventions romanesques de son illustre petite-fille, George Sand, Le point répréhensible de Maurice de Saxe, ce sont ses mœurs, qui, bien que moins mauvaises peut-être que celles de beaucoup de ses contemporains, n’en sont pas moins regrettables, car elles lui ont fait commettre les seules mauvaises actions de sa vie. Entre autres mérites de son livre, il faut louer le tact parfait avec lequel Saint-René Taillandier a su relever ce côté répréhensible sans y mettre trop d’insistance; là où l’habitude du péché est si enracinée, n’est-ce pas en effet peine perdue que de moraliser?

Comme la morale n’a pas eu plus de part à la direction de la vie de Maurice de Saxe qu’elle n’en avait eu à sa naissance et qu’en dépit de cette lacune, il a su réussir dans la plupart de ses entreprises, il est assez difficile de tirer de cette existence une leçon d’édification à l’usage de la commune humanité; en revanche, elle suggère certaines réflexions qui ont bien leur intérêt. C’est un hasard qui nous a donné Maurice de Saxe, et cependant supposez-le absent de notre histoire du XVIIIe siècle, et il y aurait là un vide énorme que l’imagination s’évertue assez inutilement à combler. En vérité, je ne sache rien qui donne mieux raison que l’histoire de Maurice à la philosophie optimiste de son contemporain le docteur Pangloss. Voyez un peu comme tout s’enchaîne pour le mieux dans le meilleur des mondes, aurait pu dire celui-ci : si Philippe de Kœnigsmark n’avait pas été assassiné dans le guet-apens tendu par l’affreuse comtesse de Platen, Aurore de Kœnigsmark n’aurait pas eu occasion d’aller demander à toutes les cours d’Allemagne des nouvelles de la dépouille fraternelle disparue, et par suite elle n’aurait pas inspiré au roi Auguste ce vif intérêt dont le résultat fut la naissance de Maurice. Les batailles de Fontenoy, de Raucoux et de Lawfeld auraient été peut-être gagnées par d’autres sous d’autres noms; nous y consentons, tout en gardant quelques doutes à cet égard ; mais à coup sûr une certaine demoiselle Verrières n’aurait jamais mis au monde une fille baptisée Aurore de Saxe, et George Sand n’aurait jamais vu le jour. Heureuse faute! disait saint Augustin en parlant du péché de nos premiers parens. — Heureux crime! dirons-nous de la tragédie du palais de l’électeur de Hanovre, puisque sans lui la France de l’ancien régime aurait été privée de son dernier grand militaire et la France contemporaine de son plus illustre romancier.

L’Allemagne, on le voit, occupe une place considérable dans les