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instant forcé de retourner sur nos pas, et le groupement par genres, — dont l’ordonnance matérielle, on l’a reconnu, serait impraticable, — était évidemment le seul que nous pussions suivre ici. Nous l’avons donc adopté, mais sans nous y astreindre cependant d’une manière absolue, les limites de certains genres restant forcément confuses et flottantes. C’est par un sentiment naturel de déférence pour nos lecteurs que nous avons dû restreindre nos choix. A la date où paraîtront ces lignes, le Salon n’est déjà plus une curiosité, et ce triage rapide que le temps se charge d’opérer dans nos admirations aura déjà commencé pour lui. Il nous a semblé qu’il serait peu séant de faire partager à d’autres le long travail de dépouillement auquel nous avons dû nous livrer et que la plus simple convenance nous invitait à leur en épargner la fatigue. Au Salon comme en voyage, et c’est là plus qu’une comparaison cette année, il faut se résoudre à ne pas tout voir sous peine de ne rien retenir, et à ne se faire l’esclave ni d’un guide ni du livret. Parfois même, loin de nous presser, nous nous sommes attardé, alors qu’il nous semblait qu’il y avait pour nous quelque profit, et nous n’avons jamais résisté à la satisfaction de goûter auprès des œuvres qui le méritent le recueillement auquel elles nous conviaient. Mais, de notre mieux du moins, nous nous sommes appliqué à découvrir ces œuvres, nous abstenant de toute idée préconçue dans notre recherche, nous défendant, en leur présence, des tentations les plus naturelles et les plus légitimes, nous efforçant de ne tenir compte que des œuvres elles-mêmes, et sensible avant tout à ces deux supériorités qui, dans la ruine de presque toutes les conventions jusqu’ici admises, et au milieu de l’anarchie esthétique où nous vivons, sont seules restées debout : la sincérité et le talent. De notre mieux aussi, et à nos risques, nous avons voulu, au lieu de nous dérober à la difficulté de notre tâche, donner les raisons de nos louanges et de nos critiques. Après cet examen précis des œuvres qui, en dehors de toute préoccupation de style ou d’école, nous ont semblé les plus remarquables, peut-être serons-nous plus à l’aise pour présenter brièvement les idées qu’elles nous auront suggérées sur la situation et les tendances de l’art contemporain; peut-être même, à raison du caractère en quelque sorte impersonnel de cet examen, ces simples conclusions ressortiront-elles d’elles-mêmes de notre analyse et paraîtront-elles alors plus naturelles et mieux motivées.


I.

Le Job de M. Donnat est, à nos yeux, la peinture la plus forte et, dans son étrangeté légitime et voulue, l’œuvre la plus saisissante