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pareille chose se verrait plus difficilement en Prusse. Il remarque aussi que l’armée allemande a dû une notable partie de ses succès à sa fortune autant qu’à sa bravoure et à sa discipline. « Qui oserait nier, s’écrie-t-il, que nous ayons eu un insolent bonheur? Les généraux ennemis étaient frappés d’une cécité qui n’a pas sa pareille dans l’histoire de la guerre, et la masse des fautes commises par les Français l’emporte de beaucoup sur le nombre de nos succès mérités et de nos combinaisons heureuses. » Les Allemands, nous dit-il encore, n’eurent que deux mécomptes, qu’à la vérité ils sentirent vivement. Le premier fut que généraux et soldats, tout le monde, après Sedan, se flattait d’en avoir fini et d’entrer dans Paris sans coup férir. « On se plaisait à penser que la nation française n’avait plus ni nerf ni ressort; personne ne voulait croire à l’héroïsme d’abnégation et d’endurance dont les Parisiens ont fait preuve pendant la moitié d’une année. » On ne s’affligea pas moins « de s’être laissé jouer par M. Thiers, lorsqu’il prétendit avoir besoin d’une semaine entière pour obtenir de l’assemblée de Bordeaux la ratification des préliminaires de paix. Ce fut sur cette assurance que le roi fonda son calcul. il s’était promis que toutes les troupes employées au siège passeraient au moins vingt-quatre heures dans la capitale. 30,000 hommes devaient entrer le premier jour et être relevés le lendemain à midi par 30,000 autres. Comme à ce moment il y aurait 60,000 hommes réunis, le roi se proposait de passer chaque jour une revue aux Champs Élysées, jusqu’à ce que le dernier de ses soldats fût entré dans Paris. Toute cette combinaison fut déjouée par la ruse du futur président de la république, qui obtint sur l’heure ce qu’il déclarait ne pouvoir obtenir qu’en une semaine au moins. Le chagrin qu’on éprouva à cette fatale nouvelle, tout le monde le devine; les sentimens du roi et de sa brave armée furent mis à une cruelle épreuve. »

Une longue possession et l’habitude du bonheur engendrent le dégoût, la lassitude ou l’indifférence ; le charme est rompu, les sensations s’émoussent, on se blase, on se refroidit. Il n’en fut pas ainsi pour Schneider. Il garda jusqu’au bout la fraîcheur de ses joies et de ses espérances, jusqu’au bout il s’étonna de sa fortune. Chaque matin il se frottait les yeux en se disant : Est-ce un rêve? est-ce arrivé? est-ce bien moi? Il ravivait ses jouissances par d’incessans retours sur le passé. Pendant la guerre de 1866, il fit une pointe sur Prague, et le nouveau gouverneur de la Bohême, le général Vogel de Falkenstein, lui fit la grâce de l’inviter à dîner au Hradschin : « A l’âge de huit ans, nous dit-il, humble ri jeton d’une famille de comédiens, j’avais logé à Prague dans une misérable auberge de faubourg, et du sein de mon indigence j’avais contemplé avec stupeur le Hradschin et ses magnifiques palais. Maintenant je me trouvais assis dans les appartemens impériaux à côté d’un général victorieux, qui me traitait en hôte de conséquence et ne