Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce sont des républicains égarés que M. le préfet de police suffit à corriger ou à maîtriser. Les vrais et dangereux adversaires, ce sont les cléricaux ! C’est l’idée fixe. Et comme rien n’est plus contagieux que ces sortes de maladies d’esprit, il se trouve des maires de quelques villes, même de très humbles localités, qui veulent, eux aussi, avoir quelque exploit inscrit dans leurs états de service : ils interdisent les processions ! Ce sont là des manifestations du cléricalisme contre la république. M. le garde des sceaux lui-même n’a pas dédaigné d’entrer en campagne contre ces modestes cérémonies du culte. Il a tenu à prévenir par une circulaire les magistrats des cours d’appel qu’ils ne devaient plus assister en corps aux processions ; c’étaient là, il est vrai, des habitudes traditionnelles dans les villes de grande magistrature ; mais, au dire de M. le garde des sceaux, il y avait attentat contre la liberté de conscience des magistrats qui n’aiment pas les processions. C’est fort bien de faire respecter la liberté de conscience des uns, à la condition cependant de respecter la liberté de conscience des autres, et en réalité on ne voit pas bien ce que ces grands mots viennent faire à propos de simples pratiques religieuses plusieurs fois séculaires, auxquelles les populations sont souvent attachées et qui n’ont jamais gêné personne. Franchement on finira par couvrir de ridicule ce mot de politique laïque dont on abuse, qui sert de passeport à toute sorte de fantaisies ou de représailles, et dans tout cela, il est assez difficile de savoir quel est le rôle du gouvernement. Non, en vérité, il n’est pas aisé de distinguer où le gouvernement veut s’arrêter avec cette politique étrange qui consiste à se prévaloir d’une certaine modération et à laisser tout faire, à se prêter à cette guerre aux choses religieuses plus redoutable encore peut-être pour la république que pour ceux contre lesquels elle est dirigée. Avec cette politique qui n’a même pas une volonté, on vit encore quelque temps sans doute ou l’on ne meurt pas ; on esquive quelques difficultés du moment en livrant un clérical, un jésuite à d’imbéciles passions, — et on prépare d’inévitables périls.

Le grand changement de scène qui s’est produit en Angleterre, quoique simple et naturel, ne laisse pas d’être laborieux. Tout s’est passé, il est vrai, avec la régularité puissante qui préside aux affaires d’une nation douée de fortes mœurs politiques. Les élections ont prononcé, un cabinet s’est formé sous l’influence de cette décisive manifestation d’opinion ; le parlement a été ouvert il y a quelques jours à peine par un message royal, expression sommaire de la politique nouvelle. L’évolution est complète. Ce n’est pas cependant sans effort et sans peine que s’accomplit cette prise de possession du pouvoir par le ministère nouveau au nom d’une nouvelle majorité, et il y a peut-être plusieurs raisons. La première cause d’embarras, c’est que les libéraux ne s’attendaient pas visiblement à une si éclatante victoire. Ils avaient