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événemens de juillet s’agitaient plus que jamais : en Belgique, où la révolution du 29 septembre 1830 restait en suspens entre les délibérations de la diplomatie et les menaces du roi des Pays-Bas; en Pologne, où l’insurrection du 29 novembre se débattait héroïquement contre les forces russes ; en Italie, où des mouvemens partiels appelaient les interventions de l’Autriche. Toutes ces questions émouvantes et redoutables enflammaient l’opposition française, qui faisait à la révolution de 1830 un devoir national d’aller au secours de tous les peuples en insurrection et d’effacer les traités de 1815. Le ministère présidé par M. Laffitte, politique plus léger et plus vain que mal intentionné, hésitait devant ces excitations, comme il hésitait à l’intérieur devant l’anarchie, devant l’émeute qui troublait Paris et se répandait dans les provinces, comme il allait hésiter au dernier moment devant la dévastation de Saint-Germain l’Auxerrois et le sac de l’Archevêché. Le gouvernement pratiquait ce que d’un mot cruel et significatif Carrel lui-même appelait la politique u par abandon, » laissant les légitimistes organiser des prises d’armes dans l’Ouest et les républicains préparer la guerre civile dans les rues. On achetait la vie de chaque jour par des expédiens, par des concessions incessantes aux passions révolutionnaires et aux passions belliqueuses, si bien qu’après six mois on allait sans le vouloir à la subversion et à la guerre.

Le pays sans direction, les intérêts sans sécurité, la paix publique sans garantie, l’incertitude et la défiance partout, c’était le dernier mot de la situation. Le nouveau roi le sentait, le parlement ne prêtait qu’un appui douteux à une ombre de pouvoir. Plus que tout autre, du haut du siège de président de la chambre où il avait été élevé depuis trois mois, Casimir Perler voyait avec amertume le désordre croissant. Une sorte d’instinct public le désignait comme le seul successeur possible de M. Laffitte lorsque les scènes de Saint-Germain l’Auxerrois et quelques autres incidens précipitèrent la crise qui faisait de lui un chef de ministère. Il ne se hâtait pas cependant, et ce qui attestait du premier coup la valeur de l’homme, c’est qu’il se montrait difficile sur les conditions de son avènement, difficile avec le roi, avec ses collègues, avec la majorité parlementaire dont il attendait l’appui en échange de la direction qu’il lui promettait. Il avait le sentiment le plus sérieux des choses, et en acceptant le rôle de premier ministre dans un moment qu’il jugeait aussi décisif que difficile, il entendait en exercer tous les droits connue il en affrontait d’un cœur viril et sans illusion toutes les responsabilités.

Le génie de Casimir Perier a été dans une idée simple, une idée fixe, et dans une volonté indomptable. Son mérite était de comprendre que la révolution de juillet périssait si elle se laissait entraîner