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compléter, d’affermir tout ce qui avait été tenté avant lui en fait d’institutions. Il sera conséquent avec lui-même si, en fait de grands travaux, il aime mieux achever les entreprises commencées qu’en commencer des nouvelles... » À cette époque, M. Thiers passait alternativement du ministère de l’intérieur au ministère des travaux publics et du commerce pour revenir bientôt à l’intérieur : il aurait passé tout aussi bien aux affaires étrangères ou aux finances, il n’aurait pas été pris au dépourvu !

Ministre toujours prêt, il se mêlait à toutes les grandes questions. II défendait la centralisation, l’unité nationale à propos de l’organisation des conseils municipaux et des conseils généraux, à propos des attributions des maires et des municipalités. Il combattait l’impôt sur le revenu qui faisait son apparition et qu’il devait plus d’une fois retrouver devant lui sans jamais se lasser de le combattre. Il suppléait M. Humann à l’occasion de l’amortissement et du budget. Il se faisait le lieutenant du duc de Broglie dans les questions extérieures. Il n’était étranger à rien, et partout, dans les discussions d’affaires comme dans les conflits politiques, il portait le plus vif instinct de gouvernement, une inépuisable fertilité d’esprit, le sentiment net et clair des vraies conditions d’un régime appelé, dans sa pensée, à couronner la révolution française en domptant les passions révolutionnaires, en ouvrant pour la France l’ère active et féconde des libertés modérées. Partout il portait cette raison décidée qui bientôt, au lendemain des luttes les plus violentes, lui faisait dire comme s’il avait voulu résumer le caractère de la cause qu’il servait : « La mesure, voilà le caractère du gouvernement que nous avons l’honneur de représenter et qui est le seul qui convienne aujourd’hui au pays. Il faut nous voir tels que nous sommes. Nous ne sommes pas de ces gouvernemens à entraînement tels qu’il en a existé. Nous ne sommes pas ce gouvernement terrible qui ensanglanta la France il y a quarante ans; nous ne sommes pas ce gouvernement glorieux, je le reconnais, du consulat et de l’empire; nous ne sommes pas non plus le gouvernement de réaction de la restauration. Nous sommes un gouvernement de raison, de sens, de tenue, à qui les leçons passées doivent toujours être présentes et qui ne doit jamais s’infatuer de ses succès. On parle de vainqueurs et de vaincus. Ce mot ne convient ni au gouvernement ni à l’état de choses actuel. Il y a eu des temps où il y avait des vainqueurs et des vaincus. En 93, il y a eu des vainqueurs sanglans, des vaincus à jamais regrettables. Sous l’empire il y avait des vainqueurs, c’était la nation française; les vaincus, c’était l’Europe: elle nous fit expier chèrement sa défaite. Sous la restauration le gouvernement était vainqueur, le pays était vaincu. Il n’y