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[1]. Ne peut-on, en matière gouvernementale, dans les rapports et l’agencement des divers rouages de l’état, dans les relations du peuple et de l’autorité héréditaire, concevoir un type plus parfait et plus harmonieux que tout ce qu’on a vu fonctionner jusqu’ici? Un gouvernement, par exemple, dégagé des luttes de classe et de partis, des antagonismes sociaux et politiques qui, chez les peuples de culture germano-latine, corrompent dans son principe l’état comme la société : — tel est l’idéal plus ou moins vague, plus ou moins conscient et raisonné de bien des Russes. Quelques-uns même ont la prétention de n’avoir besoin pour arriver à la liberté ni de constitution, ni de parlement, ni de droits politiques d’aucune sorte.

Laissant de côté ce que, pour nous Occidentaux, ces rêveries ont de manifestement utopiste, y a-t-il chez le Russe et chez le Slave en général le rudiment d’un état politique nouveau, d’un mode de self-government différent par les formes ou par l’esprit de tout ce qui se rencontre dans l’histoire de notre monde germano-latin? est-il vrai que les Slaves portent en eux-mêmes, dans les élémens de leur culture ou dans les traits encore indécis de leur caractère national, l’embryon d’un type politique inconnu et original? Jusqu’à quel point est-il possible à ces derniers venus de la civilisation chrétienne de chercher la liberté dans d’autres voies que leurs aînés d’Occident, de faire du neuf et du slave, et, en faisant autrement, de faire mieux ?

Cette prétention, fort naturelle et rationnelle si elle se borne à des nécessités d’adaptation ou même au moule des institutions et à leur empreinte nationale, est malaisée à soutenir si elle s’étend au fond des choses et à l’essence même de l’état. Quelles formes de gouvernement non encore découvertes et quelles secrètes inventions politiques, quelles profondes conceptions de la liberté et quels nouveaux moyens de la réaliser se peuvent rencontrer chez des peuples qui n’ont ni institutions ni traditions politiques d’aucune espèce? Les institutions doivent, dit-on, sortir du sol national, mais où en prendre chez les Slaves les racines ou la semence? Sien Russie et ailleurs, ils en ont jadis possédé le germe dans leurs vetchés ou leurs doumas, la graine en a été flétrie et desséchée par les siècles; loin d’avoir encore la force de lever, elle a depuis longtemps perdu toute vertu germinative. Où sont les institutions slaves qui peuvent servir à la Russie de type ou de modèle? Les faut-il cher- cher dans le passé, en Russie même dans le sobor ou la zemskaia douma des XVIe et XVIIe siècles? Mais ces assemblées moscovites

  1. Voyez par exemple le prince Vasiltchikof : Zemlevladenié i Zemledélié, tome I, Introduction.