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I.

Bien qu’il n’y eût pas de statistique précise, on peut évaluer la population du royaume-uni à dix-neuf millions en 1816 ; vingt-quatre ans auparavant, lorsque la guerre avait commencé, ce chiffre n’était que de quatorze millions. L’accroissement avait donc été considérable. Mais la dette publique s’était accrue pendant la même période dans une bien autre proportion. Elle était de 240 millions de livres sterling en 1792 ; elle dépassait 860 millions en 1815. On ne saurait comprendre que le pays ait pu supporter ce fardeau si l’on ne se rendait compte que les emprunts d’état s’étaient acclimatés en Angleterre depuis déjà plus d’un siècle sous la garantie du parlement. Ce fut sous le règne de Guillaume III qu’un financier de génie, Charles Montagu, devenu plus tard lord Halifax, créa presque simultanément la Banque d’Angleterre et la Compagnie des Indes orientales, et qu’avec l’appui de ces puissantes institutions il émit des titres de rente au paiement desquels le public prit confiance. Sous les règnes précédens, l’état avait emprunté plus d’une fois ; mais, bien que le parlement lût autorisé ces emprunts, les créanciers s’étaient vus obligés d’abandonner moitié du capital et plusieurs années d’intérêts. Lord Halifax et ses successeurs n’eurent pas la maladresse de recommencer cette banqueroute ; aussi la dette nationale devint-elle une ressource merveilleuse pour les guerres du XVIIIe siècle, ressource d’autant plus durable qu’elle était ménagée. Walpole, au cours de sa longue administration, n’avait pas négligé d’en rembourser une partie. Mais, après lui, des événemens malheureux, la guerre de sept ans, la guerre d’Amérique, l’accrurent de plus en plus. Avec un milliard de francs en capital de rente consolidée, les gens qui se croyaient prévoyans gémissaient déjà : «Tant que l’Angleterre sera endettée à ce point, elle ne pourra maintenir sa dignité, se faire respecter au dehors. L’existence même de la nation est menacée. Jamais nos descendans ne voudront croire que nous avons été si prodigues. » Ces lamentations n’arrêtèrent rien. On sait combien de milliards la Grande-Bretagne a dépensés de 1782 à 1815 ; on n’ignore pas qu’elle en paya toujours les intérêts avec régularité ; la confiance des prêteurs ne s’ébranla jamais, et la preuve la plus claire en est que ces emprunts, contractés en 3 pour 100, se négocièrent toujours au-dessus de 50.

Il serait difficile de dire en quelle mesure l’existence d’une caisse d’amortissement concourut à maintenir les cours des fonds publics. Pitt en avait été le créateur ; son influence demeura si grande, même après sa mort, que ses successeurs n’y osaient toucher. A