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invariable, quelle ne devait pas être la misère lorsque le prix du pain s’élevait du simple au double, comme de 1800 à 1802 ou de 1804 à 1812 ? On aurait peine à rendre compte de ce que fut la situation des ouvriers ruraux pendant les dernières années de la guerre contre Napoléon, si la statistique des maisons de secours ne fournissait des chiffres éloquens. les lois sur le paupérisme en vigueur à cette époque depuis trois siècles, imposaient à chaque paroisse le devoir de subvenir aux besoins des infirmes ou de fournir du travail aux mendians en état de gagner leur vie. Pour se libérer de la première de ces obligations, les paroisses ouvrirent des asiles ; bien que mal nourris et entassés au-delà de ce que l’humanité permettait, les habitans de ces asiles ne furent pas seuls à réclamer l’assistance publique dans les années de détresse. Les malheureux qui ne quittaient pas leur chaumière, les familles chargées d’enfans surtout, n’avaient pas moins de droits aux secours de la charité. À chaque nouvelle période de détresse, la mendicité s’accroissait et la taxe des pauvres devenait de plus en plus lourde. Le nombre des individus secourus était de plus d’un million en 1800, de quinze cent mille en 1816. Sur cent Anglais, on en comptait huit, dix ou douze, suivant les temps, réduits à vivre de l’assistance publique.

Le pouvoir législatif appartenait à ceux qui supportaient ce fardeau ; les lois qu’ils firent pour y remédier ne furent pas toujours humaines. On commença par imposer aux malheureux un domicile de secours ; chaque paroisse dut garder ses pauvres. L’homme riche avait la faculté de se déplacer autant qu’il le désirait, de porter son capital et son industrie dans n’importe quelle partie du royaume. Il était interdit au malheureux de quitter la paroisse sur le territoire de laquelle il était né. Il devenait en quelque sorte l’esclave de ses concitoyens. Vagabond dans les rues, les autorités locales avaient le droit de l’emprisonner ; recueilli dans une maison de secours, elles le soumettaient à la plus stricte discipline ; elles le renfermaient dans un cachot pour un blasphème, pour une parole grossière ; elles l’obligeaient de travailler chez le maître qui lui était désigné. Avait-il des enfans, ceux-ci passaient sous la tutelle municipale, qui se chargeait de les mettre en apprentissage. Lorsque la police signalait trop d’enfans pauvres dans un faubourg de Londres, on les expédiait loin de là dans les comtés de York ou de Lancastre aux filateurs de coton qui n’étaient pas embarrassés de leur donner de l’ouvrage. Il n’y avait encore ni surveillance du travail dans les manufactures, ni loi limitant la durée de leur journée ou obligeant le patron à leur donner l’instruction la plus élémentaire. Ces malheureux petits êtres étaient livrés à ceux qui les avaient recueillis sans que personne eût souci de leur bien-être ou de leur amélioration. Une coutume locale,