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d’un point de vue élevé les questions du jour, — ce qu’en France on appela plus tard une conférence, — entreprit de publier un recueil périodique consacré surtout à la critique honnête et indépendante des œuvres littéraires. Ce fut le début de la Revue d’Edimbourg. Dugald Stewart, Playfair, Mackintosh, Walter Scott faisaient partie de l’association et y donnaient le ton. Les fondateurs de ce recueil d’un nouveau genre étaient plus jeunes, mais non moins distingués. Sydney Smith y apportait un esprit pétillant, sarcastique, qui lui donnait la réputation d’être le plus vigoureux pamphlétaire du jour. Jeffrey avait le jugement droit qu’exige la critique et le tact que veut la profession difficile d’éditeur. Horner était, tout au contraire de Sydney Smith, un homme lourd, posé, mais d’une expérience reconnue en matière économique. Brougham était le savant universel, propre à écrire sur tous les sujets, droit ou littérature, science ou politique, et, malgré cette diversité d’études, traitant chaque chose avec une compétence incontestée. C’est une tradition admise qu’un numéro de la Revue d’Edimbourg fut écrit par lui seul. Il sut, ont dit ses ennemis, — son caractère lui en avait fait beaucoup, — exceller en tout et n’être le premier en rien. Quoi qu’il en soit, Sydney Smith, Horner, Jeffrey, Brougham, unis pour cette œuvre commune, offraient un ensemble de qualités qui devaient assurer tout de suite le succès de leur entreprise et lui créer une réputation durable.

Le succès, ou plutôt peut-être l’amour de la contradiction, suscita des imitateurs. Les écrivains qui viennent d’être nommés appartenaient tout entiers au parti libéral, avec cette distinction toutefois, en ce qui concerne Jeffrey, qu’il était avant tout un critique littéraire, plus frappé du mérite de la forme que des tendances politiques exposées dans les œuvres qu’il discutait. Eût-il été seul, Jeffrey eût accepté pour collaborateurs les whigs et les tories sans faire de différence. Il l’avait bien prouvé en accueillant Walter Scott avec un empressement que le talent de l’auteur expliquait. Mais les autres, Brougham notamment, voulaient mettre la Revue au service de leur opinion politique. Jeffrey comprit que la neutralité devenait impossible et que l’unité de vues était indispensable dans un recueil qui prétendait influer sur l’esprit public. Il écarta les articles politiques que Walter Scott lui présentait.

Il se trouvait précisément alors que le ministère tory avait un vif désir de créer une rivale à cette Revue d’Edimbourg, dont l’hostilité le gênait parfois. Canning, qui faisait partie du cabinet, avait des goûts assez littéraires pour comprendre que le gouvernement devait être défendu, en même temps qu’attaqué, sur ce terrain de la critique large et indépendante. Le libraire Murray, un éditeur de talent, William Gifford, lancèrent un nouveau recueil, la Quarterly