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nombre ont été depuis altérées ou détruites. Dans ces temps heureux, on n’avait que l’embarras des richesses, et à la porte même de Paris, nos paysagistes faisaient les découvertes les plus merveilleuses et les plus imprévues. Toutes les grandeurs, toutes les intimités de notre pays trouvaient bientôt des interprètes à leur hauteur dans des maîtres tels que Rousseau, Corot, Marilhat, Millet, Troyon, Daubigny et Paul Huet (pour ne citer que ceux qui ne sont plus), glorieuse phalange de talens originaux, nettement caractérisés par des différences profondes et un même fond de sincérité.

Depuis que MM. Cabat et Jules Dupré, associés tous deux au début de ce mouvement, se sont retirés de nos expositions, M. Français y reste le seul témoin de cette époque. Il a été l’ami de la plupart de ces maîtres disparus, et l’autre jour encore, avec une émotion qui a trouvé son écho dans bien des cœurs, il nous disait quels liens et quels souvenirs le rattachaient à Corot. M. Français seul pouvait oublier d’ajouter que, plus que personne, il avait contribué à faire connaître le nom de celui auquel il rendait un si touchant hommage, en consacrant son admirable talent de lithographe à la reproduction des œuvres les plus remarquables de Corot. Toujours vaillant, travailleur infatigable, se renouvelant par des études incessantes, M. Français est demeuré et demeurera, nous l’espérons, longtemps encore sur la brèche. Avec son expérience consommée et le secours de ses admirables dessins, comparables à ceux des meilleurs maîtres, M. Français est peut-être le seul qui puisse aujourd’hui tirer de son imagination ces paysages composés auxquels notre école semble avoir désormais renoncé. Il y a de la simplicité et de la grandeur dans la disposition de sa nouvelle œuvre : le Soir. Les lignes en sont heureuses et les masses bien réparties. Le terrain et les arbres déjà envahis par l’ombre et les eaux assoupies coupées çà et là d’un sillage bleuâtre forment un doux contraste avec le ciel où jouent encore quelques nuages roses, dorés par les derniers rayons du soleil. L’exécution a cette largeur facile que donne une longue expérience appuyée sur de consciencieuses études. Peut-être les qualités même de précision et de justesse que M. Français met à ces études se sont-elles ici tournées un peu contre lui quand il s’est agi de les utiliser. Un peintre comme Corot n’avait pas à triompher de pareilles difficultés : le vague et l’indécision voulue de ses informations leur permettait de prendre place dans les compositions du maître. L’assimilation avait commencé en face de la nature, et les paysages charmans inventés par ce poète trouvaient toujours leur unité dans son imagination. Quand, au contraire, on entre dans le caractère des choses, qu’on essaie de le pénétrer sans parti-pris et de l’exprimer à fond, comme