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expositions et qui n’ont pas gagné à être aujourd’hui de marbre ou de bronze.

Chaque matière implique, en effet, un travail spécial dont bien des sculpteurs ne paraissent guère se douter. Ils ne comprennent pas que, dès la conception même de leur œuvre, ils devraient en quelque sorte l’avoir sous les yeux dans sa forme définitive, et que, tout en modelant la terre, il leur faudrait songer à la statue à laquelle les mène ce travail préparatoire. Faute de cette prévoyance, la statue ne tient pas les promesses de l’ébauche; au lieu de la compléter, l’exécution l’amoindrit. Aussi, malgré la grâce et la suavité de ses formes, nous attendrons le marbre de M. Beylard pour savoir exactement ce que vaut sa Madeleine, à laquelle il fera sagement d’ailleurs de donner un type un peu moins vulgaire. La figure de femme qu’expose M. Barrau ne manque pas non plus de grâce, et il y a une certaine élégance dans son ajustement ; mais nous ne comprenons pas très bien à quel titre elle représente la Poésie française. Elle a cependant à ses pieds une inscription explicative et une liste de nos poètes à côté d’elle. Mais comment résumer dans un seul personnage les idées qu’évoquent des noms si divers? Corneille et La Fontaine, Racine, Voltaire et Victor Hugo, le programme est bien vaste, et l’unité n’en apparaît pas très clairement sur cette figure : peut-être, au surplus, est-ce la difficulté de concilier tous ces noms qui lui donne ce petit air maussade. Il y a du mouvement dans les lignes et une largeur facile dans l’exécution de la Judith de M. Lanson. La tête de la jeune fille est expressive et, quoiqu’il soit assez léger, son costume a de l’ampleur. Mais, à distance, son geste laisse quelque incertitude sur ses intentions. Ce sabre qu’elle tient à la main et dont les détails finement travaillés attirent l’attention, ce sabre est trop riche et trop beau. Il semble exciter chez Judith un sentiment d’admiration et de convoitise plutôt qu’une idée de meurtre. On comprendrait son hésitation d’ailleurs, et ce n’est pas une mince affaire que la décollation de cet Holopherne, dont la robuste silhouette se profile derrière elle. Le groupe d’Orphée et Eurydice par M. Paris est bien agencé, bien équilibré, et montre des qualités d’expression remarquables. Il y a de la passion dans la figure suppliante d’Orphée et comme un vague espoir sur son visage, tandis que les traits d’Eurydice, — bien que sa tête nous paraisse un peu petite, — ont un caractère touchant de douleur et de regret. L’œuvre est d’un jeune homme, croyons-nous, mais elle atteste déjà de l’habileté et un sentiment très personnel.

L’Ève, de M. Falguière, a le charme que cet artiste communique à ce qu’il fait. La ligne extérieure de ce corps féminin se développe