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partout. La blancheur d’une figure de marbre serait ici plus expressive, parlerait mieux à l’œil et donnerait à l’œuvre une signification plus nette et plus touchante. Entre tous les projets que se sont proposés nos jeunes architectes, ceux de M. Chardon sont à la fois les plus importans et les mieux conçus. Ils se présentent d’ailleurs avec la consécration du succès qu’ils ont obtenu dans le concours fondé par M. Duc. Peut-être leur auteur a-t-il même, par maint emprunt, pas assez dissimulé, rendu un hommage trop direct à l’éminent architecte du Palais-de-Justice. Nous souhaiterions aussi un peu plus de variété dans les ordonnances, et ce parti-pris d’écrasement des portes reléguées dans un soubassement, quelle que soit la destination de l’édifice, ne nous paraît pas toujours très justifié. Les entrées peuvent conserver cette apparence sévère et cet air de geôle quand il s’agit de l’Hôtel d’une société financière, un édifice qui doit évidemment inspirer toute sécurité à l’endroit des trésors qui lui sont confiés ; mais il y faudrait plus d’ampleur et plus de style aussi pour une École pratique des hautes études, dont les portes doivent être largement ouvertes. Dans ce dernier projet nous avons également noté des escaliers qui donnent simplement accès à des bancs appliqués contre la façade, ce qui nous paraît un déploiement de décoration et aussi de dépenses peu en rapport avec le résultat. Mais nos savans, du moins, ne se plaindront plus qu’on leur ait ménagé l’espace et qu’on montre trop de parcimonie à leur égard. Ce sont de vrais palais qu’on songe à leur élever ; il est vrai qu’ils sont les rois du moment. M. Chardon a compris qu’avec eux, il pouvait se donner carrière, et malgré nos légères critiques ses dessins, d’ailleurs parfaitement exécutés, montrent de l’élégance, du goût et beaucoup d’étude.


IV.

Et maintenant, après cette longue revue, il est naturel de se demander quelle impression nous laisse ce Salon. Est-il meilleur ou vaut-il moins que les précédens ? Y trouvons-nous l’indication d’un progrès dont il faille se réjouir ou d’une décadence qui menacerait l’art contemporain ? Chacun suivant son humeur peut, à sa guise, répondre à ces questions. Les esprits absolus ont beau jeu pour choisir dans la masse des argumens disponibles ceux qui conviennent le mieux à leur tempérament ; mais, comme toujours, quand on se pique d’impartialité et qu’on s’efforce de résumer des situations un peu complexes, on éprouve quelque embarras. S’il y a dans celle qui nous occupe bien des symptômes fâcheux, il en est aussi de rassurans ; essayons d’en faire le départ. Tout d’abord, puisque c’est du Salon qu’il s’agit, cette institution des