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capacité. Bien qu’il n’eût pas ramené la fortune du côté des armes espagnoles, beaucoup n’étaient pas éloignés de lui reconnaître les talens nécessaires au rôle de premier ministre. En considérant les pitoyables résultats de l’administration de don Juan, on ne voit pas ce qu’auraient perdu au change les intérêts de cette grande monarchie. Le comte de Castrillo, grand écuyer de la reine, étant venu à mourir sur ces entrefaites, la reine récompensa le zèle de son serviteur en le nommant à sa place, sans plus d’égards qu’à l’ordinaire pour les prétentions des plus grands seigneurs.

Il était facile toutefois de juger, d’après des symptômes significatifs, qu’il s’amassait sur cette tête si chère un orage terrible, suscité de longue main par les mécomptes de l’orgueil et la rage de l’envie. Un écuyer du roi, don Francisco d’Ayala, rentrait un soir de l’Escurial à Madrid. Arrivé à la Casa del Campo, tout près des portes de la ville, quatre hommes masqués se présentent et déchargent leurs carabines dans son carrosse, le prenant pour Valenzuela, et accompagnant cet attentat d’obscures allusions, à l’on ne sait quel mystérieux événement.

À ces criminelles tentatives, capables de faire trembler les plus audacieux, la reine répondit en faisant élever son favori à la dignité de grand d’Espagne de première classe. Peu de jours après, Valenzuela, égalant désormais la fortune des ducs de Lerme et d’Olivarès, était déclaré officiellement premier ministre, avec logement au palais, où il occupa l’appartement des infans, « lieu auguste, où ne pénétrèrent jamais que les illustres rejetons du sang de nos rois, » dit un mémoire du temps, dont l’auteur ne cache pas son chagrin. Rien ne blessait plus ce peuple imbu du génie de l’Orient que ce défaut de respect pour ses antiques usages. Mais, aussi incapable de prévoyance que d’empire sur ses caprices, Marie-Anne d’Autriche aimait à faire sentir au monde la force de son pouvoir et les effets de sa protection. Par cette nouvelle et plus étrange bravade, la mère de Charles II justifia une fois de plus cette maxime que qui peut tout est tenté de tout oser.

Il est inutile de décrire par quelle explosion de surprise et d’indignation furent accueillies des marques de faveur si exorbitantes. Les amis de Valenzuela eux-mêmes s’en montrèrent scandalisés. D’après les usages de la cour d’Espagne, les plus grands seigneurs durent fléchir le genou devant le premier ministre, émanation de la Sacra catholica real Majestad. Les présidens des grands conseils eurent commandement de se rendre à son cabinet pour y, recevoir leurs instructions. Le duc d’Osuna, président du conseil des ordres, et le comte de Peñaranda, président du conseil d’Italie, refusèrent d’obéir ; une opposition muette, mais significative,