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elle était à peine descendue dans l’appartement qu’elle y occupait qu’un alcade de cour vint lui intimer l’ordre de quitter la capitale et de se retirer à dix lieues au moins de Madrid. Elle obéit et partit pour Tolède, « sans le secours d’un maravédis, ni même d’un morceau de pain. » Pendant le trajet, elle se rencontra avec son mari, qui marchait sous la garde de trois cents hommes armés de carabines, l’épée nue à la main. Valenzuela s’approcha de sa femme et de ses enfans, qu’il ne devait plus revoir, et ne put répondre que par ses larmes à leurs gémissemens et à leurs cris de désespoir. Il y avait défense de se parler ; moins durs que leurs chefs, les soldats de l’escorte pleuraient.

Doña Maria descendit à Tolède au couvent royal de Sainte-Anne, ignorant que Tolède fût le lieu assigné pour résidence à la reine mère. Aussitôt arriva l’ordre de quitter cette ville pour se rendre à Talavera ou à Hita. Elle partit pour Talavera, moyennant l’aumône de quelques ducats qu’elle reçut du cardinal-archevêque. Elle commençait à respirer dans l’asile que lui avait procuré une de ses parentes, quand se répandit le bruit que son mari allait avoir la tête tranchée et qu’elle même se verrait séparée de ses enfans. Les pauvres créatures étaient fort malades. Succombant à tant de maux, l’infortunée résolut d’en finir avec la vie en se laissant mourir de faim. « Dieu la soutint pour voir le jour de sa vengeance, » dit l’auteur ému de ce récit. Le terme de sa grossesse approchait. Elle donna le jour à une fille, qui mourut peu de temps après. Mais pour comble de malheur, elle perdit aussi sa fille aînée, une enfant de douze ans, qui était charmante, et dont les grâces, la raison précoce, consolaient la malheureuse mère dans cet abîme de misères.

Cependant approchait pour Valenzuela le moment de partir pour sa destination ; mais sa femme demeurait en Espagne, ce qui importunait singulièrement don Juan et ses acolytes. Si Valenzuela venait à succomber, comme ils l’espéraient, aux douleurs de l’exil, aux mauvais traitemens, aux fatigues d’un voyage de 5,000 lieues, ils redoutaient le cri d’une autre victime vivante, de sa veuve dépouillée et persécutée. On mit tout en œuvre pour obtenir de Maria de Ucedo qu’elle s’éloignât de Talavera. On descendit jusqu’au mensonge. On lui affirma que le roi permettait qu’elle vît son mari avant son départ ; qu’elle trouverait, à cet effet, 400 ducats préparés à Tolède. Ne pouvant ébranler sa volonté, on essaya d’effrayer sa conscience. Un moine augustin se présenta avec mission de lui démontrer qu’elle ne pouvait sans péché mortel séparer sa destinée de celle de son époux. Elle sentait un piège. Elle résista obstinément à tous les efforts pour la persuader. Mais, connaissant ses ennemis, la vaillante Espagnole résolut de se couvrir de la