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arrêté en terre d’église, mais emprisonné, exilé, dépouillé, sans aucune forme de procès, sans articulation précise d’un délit quelconque, — déclarant avoir toujours servi pour l’honneur de son maître et l’intérêt de la monarchie, n’attribuant sa chute qu’à l’envie excitée par les bienfaits dont il a été comblé par le roi et par sa mère. Il insiste particulièrement sur l’acte de dissolution du conseil de régence, lequel n’avait d’autre but, dit-il, que de restituer à sa majesté l’intégralité de son pouvoir souverain, mais qui a eu pour effet de jeter dans le parti de ses ennemis tous les membres de ce conseil, ces mêmes membres qui n’avaient fait qu’applaudir et même contribuer à son élévation tant qu’il avait consenti à partager le pouvoir avec eux.

Le 4 octobre 1688, le gouverneur de San-Felipe eut ordre de mettre sur-le-champ son prisonnier en liberté, lui assignant toutefois la résidence provisoire de Mexico, avec 12,000 pesos de traitement. Parti de Cavité sur le galion el Santo Niño, Valenzuela arriva à Mexico, le 28 janvier 1690, et fut reçu par le vice-roi, comte de Galves, sur le pied de titulo de Castille.

Il est aisé de se rendre compte des adoucissemens successifs apportés au sort de l’intéressant prisonnier. Don Juan était mort dès 1679, et, le lendemain de son trépas, Charles II courait à Tolède pour ramener à Madrid la reine sa mère.

Peu d’hommes firent naître plus d’espérances que don Juan ; jamais espérances ne furent plus déçues. Arrivé à ce pouvoir si longtemps convoité, ce prince ne révéla qu’un génie étroit, un esprit court, rien des qualités de l’homme d’état. Exclusivement occupé des soins de sa vengeance, on le vit se livrer à un examen minutieusement ridicule des actes du gouvernement déchu, faire dans la vie de la reine des recherches qui allaient à la déshonorer, ne lui épargnant ni un ennui, ni un déboire. Il la craignait néanmoins, et pour s’en défendre il organisa une police d’espionnage qui surveillait sa correspondance, recueillait les propos du palais et l’informait des moindres bruits. Absorbé par la lecture de ces rapports, il ne lui restait plus de temps pour s’occuper des grandes affaires. Il imagina de sortir la nuit avec le roi, dans un carrosse à deux mules, pour se mettre au courant de l’opinion. Le carrosse fut vite reconnu, et l’opinion devint muette. A la cour, il décida que les seigneurs ne pourraient prendre du tabac dans la chambre du roi, mais seulement dans l’antichambre. Il supprima la golilla et la remplaça par la cravate. Il descendit jusqu’au soin de faire peigner le roi, lequel avait de longs cheveux blonds, mais qui usait de son pouvoir absolu pour refuser obstinément l’usage du peigne.[1].

  1. Charles II dit un jour à cette occasion : « Hasta los piojos no estan seguros de don Juan. » Le mot avait sa portée, et une saveur bien espagnole.