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L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

vertu de cette loi, le Landesausschuss, désormais composé de cinquante-huit membres au lieu de trente, cesse d’être une simple délégation des conseils généraux pour devenir un corps plus sérieux, possédant tout au moins les rudimens d’une véritable assemblée délibérante et parlementaire, où toutes les nuances d’opinion pourront trouver place.

En présence d’une telle transformation, le parti indépendant ne pouvait, sans abdiquer, persister davantage dans son ancienne politique d’abstention. Aussi la loi nouvelle amena-t-elle un premier résultat qui n’est pas précisément celui que le gouvernement attendait : il se produisit, dans l’attitude du corps électoral, une évolution subite et de sérieux symptômes de réveil de la vie politique, après que les candidats du parti indépendant eurent déclaré vouloir se soumettre désormais au serment exigé des élus. Cette résolution a paru surprendre l’administration, qui en a témoigné une contrariété très vive. M. de Manteuffel, qui faisait, au moment de l’ouverture de la période électorale, sa visite de prise de possession à Metz, y réprouva publiquement, en termes indignés, le conseil donné par divers journaux de prêter le serment « sans se croire pour cela engagé dans ses sentimens intimes. »

« Devant de telles théories, a dit un peu pompeusement le feld-maréchal, une âme allemande recule d’effroi, et une pareille argutie, qui n’est ni allemande ni française, est faite pour révolter même dans le chevaleresque pays de Bayard. » Ce courroux sied à un soldat, esclave de son devoir, de sa parole, de l’obéissance à son souverain et du serment qu’il a prêté au drapeau, mais dans la vie civile il en va autrement. Le serment politique cesse d’être aussi respectable que M. de Manteuffel le pense quand un gouvernement n’y recourt que pour tenir à l’écart des contradicteurs gênans, qui tirent de la constitution le droit et de leur conscience le devoir de prendre souci de l’intérêt public. S’il est, en pareil cas, quelque chose qui « révolte, » pour répéter le terme, peut-être un peu gros, dont le statthalter s’est servi, c’est moins le fait de celui qui, surmontant la contrainte morale qui lui est imposée, prête, malgré ses répugnances, le serment exigé, que l’acte des gouvernans qui violentent les consciences dans l’intérêt exclusif de leur politique, à l’aide d’une arme peu courtoise que, par surcroît, ils s’en vont emprunter à un arsenal étranger. Ce ne sont là ni arguties, ni sophismes. Depuis que les sujets, dépourvus de tous droits, sont devenus des citoyens légalement admis à concourir à la gestion de la chose publique, le serment politique imposé aux mandataires du pays a cessé d’être légitime, car il n’appartient pas au pouvoir contrôlé de tenter d’écarter le contrôle par de tels obstacles qui ne nuisent au surplus qu’à ceux qui, les ayant imaginés,