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reste de retrouver un autre siège. Il y avait à la chambre des communes un certain sir Manasseh Lopes, baronet d’origine juive et de grande fortune, qui avait été condamné six années auparavant à 10,000 livres sterling d’amende et deux ans de prison pour corruption électorale et qui, nonobstant cette affaire, était rentré au parlement. Sir Manasseh renonça au bourg de Westbury, qu’il représentait, en désignant Peel pour son successeur. La rumeur publique prétendit que cette substitution s’était arrangée à prix d’argent. Que ce fût vrai ou non, les électeurs ne furent qu’à moitié satisfaits du marché ; Peel fut élu, mais avec une très faible majorité.

Ces événemens montraient bien à quel point les tories exaltés étaient mécontens et leur servaient en même temps d’argument pour soutenir qu’un appel au pays par voie d’élections générales leur donnerait raison. Le ministère s’efforçait de les apaiser par des concessions sur des points secondaires, par exemple en présentant et en faisant voter par les deux chambres une loi autorisant le lord-lieutenant d’Irlande à dissoudre les associations qu’il jugerait dangereuses pour la paix publique. C’était surtout sur George IV lui-même que comptaient les conservateurs, et en effet le malheureux roi, sollicité dans un sens par ses ministres, dans un autre sens par ses frères et par ses familiers, tergiversait sans cesse, retirant un jour l’approbation qu’il avait accordée la veille. La foule s’assemblait chaque jour autour du palais des communes, impatiente de connaître quelles seraient en détail les conditions de cette grande réforme religieuse dont on s’occupait depuis si longtemps. On disait tantôt que la mesure était abandonnée, que les ministres n’avaient pas su se mettre d’accord, tantôt que le bill présenté ne contiendrait que d’insignifiantes concessions. Enfin Peel prit la parole et, dès les premiers mots, chacun sut à quoi s’en tenir : « Je viens, dit-il, comme ministre du roi, avec l’autorité que me confère cette dignité, vous rendre compte de l’avis qui a été donné à sa majesté par l’unanimité du cabinet. » Les whigs comprirent, sans avoir besoin d’en entendre davantage, que la réforme promise allait être complète. En effet, le bill déclarait les catholiques admissibles à tous les emplois publics, excepté ceux de vice-roi d’Irlande et de lord-chancelier. Sauf qu’il leur était interdit d’exercer aucun patronage sur la nomination aux bénéfices ou aux emplois ecclésiastiques, ils se retrouvaient en possession des mêmes avantages politiques ou civils que les protestans. Comme conséquence de cet affranchissement, comme rachat en quelque sorte de cette large concession, le gouvernement demandait que le droit de voter fût retiré aux paysans irlandais qui payaient un fermage inférieur à 10 livres sterling. Jusqu’alors la franchise électorale s’acquérait