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nouveau bill. Cet honneur échut à lord John Russell, qui n’occupait dans le gouvernement que l’emploi tout à fait secondaire de payeur de l’armée. Lord John l’avait mérité par les tentatives qu’il avait faites précédemment dans ce même sens et avec un médiocre espoir de succès. Il était d’ailleurs le frère cadet de lord Bedford, l’un des plus riches propriétaires de biens fonciers et de bourgs pourris qu’il y eût dans les Iles-Britanniques. Il n’était pas maladroit de lancer le projet de réforme sous les auspices d’une famille intéressée autant que qui que ce fût au maintien des lois en vigueur. Les détails de ce projet avaient été tenus secrets : l’effet en fut grand à la lecture. Les tories, qui se seraient opposés à tout changement, quel qu’il fût, s’indignèrent à bon droit ; les radicaux avouèrent qu’ils n’avaient aucune raison plausible de contester le cadeau que leur offrait le ministère.

Il y avait, comme en toute assemblée, beaucoup de membres hésitans qui, plutôt que de juger le mérite de la réforme avec leur raison, s’inquiétaient de savoir ce qu’en pensaient le roi, les lords, les évêques, ou qui, pour se rassurer, espéraient que le projet s’accrocherait aux broussailles de la discussion. On avait à peu près la certitude que Guillaume IV soutiendrait ses ministres jusques et y compris la dissolution de la chambre, s’il était nécessaire. La première lecture alla sans accident, mais la seconde se termina par un vote où le ministère n’eut qu’une voix de majorité. Les opposans reprenaient courage. À la troisième lecture, le bill fut rejeté par une majorité de 8 voix sur 590.

On était au mois d’avril. La dissolution était en principe dans les intentions du roi et du cabinet ; mais il convenait de voter d’abord le budget, afin d’assurer la marche des services publics pendant l’année financière. L’opposition crut habile de s’y refuser, espérant que les ministres, mis encore une fois en minorité sur une question accessoire, par le hasard des discussions, ne resteraient pas aux affaires et qu’ils entraîneraient dans leur chute la réforme parlementaire. Les lords eux-mêmes étaient en veine de se prêter à cette tactique ; ils avaient l’intention d’ouvrir tout de suite un débat sur une adresse au roi pour le supplier de ne pas dissoudre la chambre des communes. La lutte était périlleuse contre ces deux assemblées hostiles. Par bonheur, Guillaume IV consentit à intervenir en personne. Il se rendit à la chambre des lords pour annoncer lui-même qu’il prorogeait le parlement en vue d’une dissolution immédiate. C’était couper court à toute discussion. Toutefois, bien qu’il n’eût fait qu’user en la circonstance d’une prérogative constitutionnelle, les esprits libéraux ne sauraient approuver ce procédé césarien de fermer la bouche des opposans.

Le pays ne ressentit pas ce scrupule. Le soir, Londres fut