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I

Quelle a été la part des sociétés secrètes qui, depuis le moyen âge, s’étaient perpétuées jusqu’au xviii8 siècle, la sainte Vehme, les rose-croix, les illuminés et enfin les francs-maçons, quelle a été, dis-je, leur part dans la révolution française ? Quelques auteurs ont cru qu’elle a été très grande. L’abbé Barruel, dans ses Mémoires secrets sur l’histoire du jacobinisme, Mounier, dans son livre sur l’Influence des illuminés pendant la révolution, ont attribué en grande partie à des conspirations secrètes et depuis longtemps préparées, à une explosion des sectes antisociales, les succès de la révolution. George Sand, dans sa période socialiste, dans Consuelo, dans la Comtesse de Rudolstadt, dans le Compagnon du tour de France, avait embrassé cette opinion, et avait cru également à une vaste, lointaine et profonde incubation du socialisme qui aurait amené à un moment donné 89 et 93, et qui promettait une révolution nouvelle bien autrement profonde et mystérieuse. Rien de moins vraisemblable que ces suppositions, pour la justification desquelles on n’a jamais apporté aucun fait précis de quelque importance. Il n’était guère besoin de sociétés secrètes contre les prêtres, les nobles et les rois, lorsque les écrivains, le monde, les cours elles-mêmes déclamaient publiquement contre les abus et poussaient à la réforme. La franc-maçonnerie en particulier paraît bien n’avoir été autre chose qu’une institution de bienfaisance non orthodoxe, une société de secours mutuels. Son rôle historique est absolument nui : on ne la trouve mêlée à aucun événement. Dans les histoires de France les plus développées, le nom des francs-maçons n’est pas prononcé une seule fois. Il est donc bien peu probable qu’elle ait exercé l’influence qu’on lui attribue. Néanmoins elle était animée sans aucun doute d’un sentiment humanitaire vague qui, sous le feu des événemens, devait prendre facilement la forme socialiste, mais d’un socialisme innocent et presque évangélique, qui mêlait d’une manière confuse l’esprit de la philosophie du XVIIIe siècle et l’esprit chrétien.

Dès les premiers temps de la révolution, la franc-maçonnerie eut donc son club, son journal et son orateur. Le club s’appelait le Cercle social, le journal la Bouche de fer ; l’orateur l’abbé Fauchet. Le journal fut fondé en janvier 1790 ; les principaux rédacteurs en étaient Bonneville et Fauchet. Le club fut inauguré, le 13 octobre 1790, dans une ancienne loge maçonnique que l’on appelait le cirque du Palais-Royal. La Bouche de fer est un journal des plus plats, des plus pauvrement écrits ; mais les sentimens en sont élevés et généreux : on essayait de s’y placer au-dessus des partis : « Ne