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de ceux qui en vivent ? C’est là plutôt, à notre avis, une protestation contre les ruines faites par la révolution qu’un appel au socialisme. C’est ce qui se voit encore dans le dilemme suivant : « Tout est-il à votre disposition, donnez de quoi vivre à tout le monde. Si vous ne pouvez pas disposer de tout, pourquoi de ma chose plutôt que de celle de mon voisin ? Je gagnais avec le duc, le marquis et le baron. C’était là ma fortune. Vous dites que la propriété est inviolable. Pourquoi prenez-vous les biens du clergé ? Laissez-moi mon état ; c’est aussi ma propriété ! » Une fois que la propriété été atteinte dans quelques-uns, elle est menacée chez tous : « Transportez-vous à Sparte ; faites des lots et renouvelez-les tous les ans[1]. Nous sommes frères par la nature ; nous devons l’être par la fortune. » Cette conclusion, communiste en apparence, n’est donc pas, selon nous, la vraie conclusion de l’auteur. Ce n’est qu’une réfutation indirecte des décrets de l’assemblée nationale contre les droits féodaux, les dîmes, la vénalité des charges et les biens du clergé.

Parmi les représentans les plus notoires d’un socialisme sauvage, sans principes et sans idées, il est assez naturel de rencontrer Marat, l’ami du peuple. La question sociale n’est pas difficile pour lui : « Ou il faut étouffer les ouvriers, disait-il, ou il faut les nourrir. — Mais à quoi voulez-vous les employer ? — Employez-les comme vous voudrez. — Avec quoi les paiera-t-on ? — Avec les appointemens de M. Bailly. » (Ami du peuple, 28 mars 1790. ) On connaît cette célèbre invitation au pillage, qui. fut l’occasion de son arrestation à la convention : « Quand les lâches mandataires du peuple encouragent au crime par l’impunité, on ne doit pas trouver étrange que le peuple se fasse lui-même justice… Le pillage de quelques magasins à la porte desquels on pendrait les accapareurs mettrait fin à leurs malversations. » (25 février 1793. ) — Un boulanger avait été pillé et massacré par le peuple. Marat avouait qu’il ne fallait pas applaudir à cette exécution « barbare ; » mais il ajoutait : a C’est un mal pour un bien… le lendemain de sa mort, on avait aisément du pain, grâce à la peur qui a saisi ses chers confrères. » Ce n’est pas que Marat n’eût quelquefois d’assez bonnes idées. Ce qu’il dit par exemple sur le cours forcé des assignats (17 avril 1790) s’est trouvé parfaitement vérifié : « Ou l’on aura confiance, ou l’on n’aura pas confiance, disait-il ; si l’on a confiance, il est inutile de les forcer ; si l’on n’y a pas de confiance, ils tomberont dans un discrédit funeste. Ce sera le système

  1. Le prétendu partage des terres à Sparte a joué un grand rôle dans les théories sociales de la révolution. On trouvera la réfutation de cette opinion historique dans un mémoire remarquable et décisif de M. Fustel de Coulanges, lu à l’Académie des sciences morales et politiques (janvier 1880).