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d’indemniser les uns avec les biens des autres., » C’étaient là des mesures plus révolutionnaires que théoriquement socialistes. La confiscation était une loi sociale qui avait toujours été reconnue dans tous les temps, et le gouvernement, royal ne s’était pas fait scrupule de récompenser souvent les uns avec les biens des autres. Tout cela était brutal et violent, mais sans effet pratique : car l’état était trop pauvre et avait trop de besoins, pour donner des terres pour rien. Il se contentait de les vendre à bas prix, parce qu’il ne pouvait les vendre cher faute de sécurité ; c’est ainsi qu’une nouvelle classe de propriétaires fut créée ; mais, en définitive, ce ne furent pas les indigens qui profitèrent de cette aubaine ; ce furent ceux qui, ayant déjà quelques économies, osèrent acheter des terres, en courant le risque de la restitution et du châtiment.

Ce fut un autre membre du comité de salut public, ce fut Barère qui fut chargé de surveiller l’application des décrets de ventôse. Il nous apprend (22 floréal an II) que ces décrets avaient été pris très peu au sérieux ; qu’un grand nombre de municipalités étaient en retard ; que les autres avaient envoyé des états irréguliers. Les indigens eux-mêmes, bien loin de croire qu’il s’agissait de les enrichir, s’imaginaient qu’on levait ces états pour les envoyer dans la Vendée. Bref, ce rapport de Barère sur l’assistance publique se réduit à indiquer quelques moyens pour interdire la mendicité. Le seul procédé qui dépassât cette mesure, c’était la proposition « d’une répartition ou adjudication (il ne s’agit plus de don gratuit), à titre de récompense ou de vente à long terme. » On voit que tout devait aboutir à des ventes de biens nationaux.

Cependant il s’est présenté à la convention deux questions où elle s’est avancée d’un peu plus près sur le terrain du socialisme., C’est, d’une part, la question des subsistances et des accaparemens, de l’autre, la question du maximum[1]. Il était inévitable que, dans ces deux discussions, des maximes socialistes fussent prononcées, et les résolutions prises avaient elles-mêmes quelque chose de socialiste. Cependant, même dans ces deux cas, il ne faut rien exagérer. Dans la question des subsistances, le débat était entre la liberté du commerce des blés et les restrictions de ce commerce par l’autorité. Le député Fayo disait que « les pourvoyeurs du peuple français devaient être non les négocians en blés, mais les administrateurs, les législateurs. » Il demandait « de briser les serrures, ou plutôt d’ouvrir les portes » des accapareurs. C’était, disait-on, violer le droit de propriété. « Mais est-il un citoyen qui ait quelque chose à lui quand ses frères meurent de faim ? » Il répétait, après

  1. Voir sur ces deux questions Levasseur, Histoire des classes ouvrières t. III, chapitre IV.