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de déclaration des droits est voté d’enthousiasme le 23 juin : c’est la déclaration de la constitution de 1793. Que sont devenus les articles additionnels de Robespierre ? Pas un seul n’est entré dans le projet : il n’est plus question de portion de biens garantie par la loi ; il n’est plus question de propriété bornée. La définition du droit de propriété est des plus correctes, et c’est la définition même de Condorcet, si combattue un mois auparavant[1]. On ne déclara pas non plus que les hommes étaient frères ; on ne parla plus de la souveraineté du genre humain. Cependant Robespierre était là, et il était déjà tout-puissant. Non-seulement il ne se plaignit pas qu’on eût mis de côté toutes ses propositions ; mais il rudoya sévèrement le côté droit « de n’avoir pas voté avec enthousiasme. » Comment ne pas voir dans le premier projet de Robespierre une arme de guerre que l’on jette après le combat quand elle est devenue inutile ?

Il en est de même du projet d’exemption d’impôts, que nous avons signalé dans son discours du 24 avril. Or, le 17 juin, après la chute des girondins, deux députés, Levasseur et Ducos, reprennent cette proposition. Cette fois, Robespierre la combat, en faisant une vague allusion au discours précédent : « J’ai partagé un moment, dit-il, l’erreur de Ducos ; je crois même l’avoir écrit quelque part ; mais j’en reviens aux principes[2] ; et je suis éclairé par le bon sens du peuple, qui sent que l’espèce de faveur qu’on lui présente n’est qu’une injure. En effet, si vous décrétez que la misère exempte de l’honorable obligation de contribuer aux besoins de la patrie, vous décrétez l’avilissement de la partie la plus pure de la nation. » Il affirmait, avec justesse d’ailleurs, que c’était réduire la classe pauvre au rôle d’ilotes. Rien de plus vrai : mais ces considérations ne l’avaient pas frappé tant qu’il s’agissait de discréditer et d’abattre la gironde. Enfin, dans son projet de constitution, Robespierre avait proposé l’impôt progressif ; et dans la constitution de 93, ou ne trouve plus rien de semblable.

Si maintenant on passe en revue tous les grands discours prononcés par Robespierre depuis qu’il fut devenu un homme de gouvernement, on n’y trouvera plus un seul mot entaché de socialisme. Il posera les principes les plus vagues, le gouvernement par la vertu, la morale substituée à l’égoïsme ; il défendra l’existence de l’être suprême ; surtout il menacera les aristocrates ; mais de la propriété, de la misère, des riches et des pauvres, pas un mot. On

  1. Voici en effet la définition de la propriété dans la constitution de 93 : « Le droit de faire et de disposer à son gré de ses biens et de ses revenus, des fruits de son travail et de son industrie. » (Déclaration des droits, art. 16. ) Où est la différence avec la définition de Condorcet ?
  2. Toujours des principes ; seulement ils changeaient selon les circonstances.