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facteur nouveau, la race, qui est devenue la base de la reconstitution des groupes ethnographiques, le programme de Saint-Marc Girardin semble être exactement celui du ministère que les élections récentes viennent d’appeler au pouvoir en Angleterre.


II

A peine fut-il connu que M. Gladstone remplaçait lord Beaconsfield, que la presse européenne se demandait, non sans une certaine anxiété : « Que va-t-il faire en Orient ? » Un grand journal de Vienne envoyait même un de ses rédacteurs pour avoir avec l’éminent homme d’état une entrevue à la façon des correspondans américains. L’Autriche ayant été assez peu ménagée par l’éloquent orateur, la curiosité ne semblait pas déplacée, mais la démarche était inutile. Depuis quatre ans, M. Gladstone n’a cessé d’exposer ses idées, sans réticence aucune, dans des articles de revue et dans de nombreux discours. Seulement, si on veut les bien connaître, il faut les chercher dans ses articles, œuvres méditées et pesées, plutôt que dans ses discours, improvisations ardentes dont la passion exagérait inévitablement les nuances. On dit que Voltaire, le jour anniversaire de la Saint-Barthélémy, laissait couler des larmes de ses yeux desséchés par la raillerie et par l’âge. M. Gladstone, qui a plus encore que Voltaire l’amour de l’humanité, chez lui épuré et élevé par le christianisme, s’indigne aussi au souvenir des massacres de la Bulgarie. Le jour où, montrant les chrétiens égorgés et leurs villages livrés aux flammes, il a, par un prodige d’éloquence, touché le cœur de l’Angleterre au point de la détourner de la guerre contre les Russes, vengeurs de ces atrocités, M. Gladstone a mis dans ses paroles, au sujet de cette question, une violence et une âpreté qui pouvaient parfois paraître hors de mesure. Mais nulle part il n’a exprimé sa pensée avec plus de netteté et plus de mesure que dans l’étude qu’il a consacrée, la veille même de son retour au pouvoir, à l’examen d’un livre qui mérite également notre attention et à divers titres, surtout parce qu’il dit clairement ce que veulent et ce que ne veulent pas les Russes en Orient. Nous pouvons ainsi comparer le programme actuel de Moscou et celui de Londres.

Ce livre est intitulé Russia and England, 1876-1880, et il est signé O. K. Il a fait rumeur en Angleterre. Les éditions se succèdent, Les journaux et les revues en ont parlé et en parlent encore. Quoi d’étonnant ! l’auteur est Russe et, de l’avis unanime, il écrit l’anglais comme peu d’Anglais le font. On sait de plus que cet auteur est une femme charmante et du meilleur monde. Son volume est composé d’articles publiés d’abord dans un journal libéral de