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serait la belle, mais sanguinaire walkyrie du panslavisme, non moins victorieuse dans le ballot anglais que sur les champ s de bataille de la Turquie. Ceux qui ont l’honneur de connaître O. K. ne seront pas étonnés du pouvoir qu’on lui attribue ; mais en vérité, c’est pousser trop loin la théorie, si souvent déjà appliquée à l’histoire, du « Cherchez la femme. »

La politique de M. Gladstone n’est-elle donc pas celle de son ami Cobden, qui dès 1840 annonçait que le moment viendrait où, en Angleterre nul n’oserait plus élever la voix pour soutenir les Turcs ? Lord Carlisle n’avait-il pas écrit en 1854 : « Quand vous quittez les splendeurs que Constantinople doit à la nature plus encore qu’aux hommes, que trouvez-vous sur toute la surface d’un pays favorisé par le meilleur climat et qui fut autrefois le séjour de l’art, des lettres et de la civilisation ? Voyez par vous-même ou interrogez ceux qui vivent là-bas : il n’y a que villages abandonnés, plaines laissées en friche, montagnes hantées par des brigands, des lois inexécutées, une administration corrompue, une population qui disparaît, et le désert qui gagne. » Et cet homme d’état éminent, le comte Grey, ne disait-il pas à la chambre des lords, en mai 1861 : « Je suis persuadé que cette chambre ne voudrait plus approuver la dépense d’un shilling pour une nouvelle et vaine tentative de prolonger l’existence de la Turquie. » M. Gladstone n’a pas eu besoin de regarder par les yeux de O. K. pour voir ce qui est désormais évident. L’empire ottoman occupait autrefois toute la côte africaine de la Méditerranée, toute l’Asie-Mineure, et en Europe il s’étendait jusqu’aux portes de Vienne et jusqu’au nord de la Mer-Noire. On se baigne encore dans les bains construits à Pesth par les Turcs, et Vienne, délivrée par Sobieski, n’est pas un souvenir si lointain. L’Autriche leur a enlevé la Hongrie et la Transylvanie ; la Russie, la Bessarabie et la Crimée ; la France, l’Algérie. L’Europe coalisée a brisé définitivement leur puissance navale à Navarin, et elle a émancipé successivement la Grèce, la Roumanie, la Serbie, l’Égypte, la Bosnie et enfin une partie de la Bulgarie. La Turquie recule si vite qu’il y a treize ans à peine je voyais les derniers soldats ottomans quitter la citadelle de Belgrade. Une décadence qui se continue ainsi pendant trois siècles peut être considérée comme une loi historique. Elle doit tenir à des causes économiques dont l’action ne s’arrêtera pas. Ce n’est donc pas la politique de M. Gladstone, tenant compte des faits, qu’il faut expliquer, c’est celle du précédent cabinet, voulant tenir un mort debout, qui est inexplicable.

L’hostilité des Anglais qui se disent conservateurs contre la Russie provient de ce qu’à leurs yeux, tout agrandissement des Russes soit en Europe, soit en Asie, est un danger pour l’Inde. Ce danger, croient-ils, peut se présenter sous deux formes : sous la forme d’une