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attaque directe dirigée contre la frontière indienne par l’Afghanistan ou par la Perse, péril encore éloigné, et sous la forme d’une menace contre le passage des Anglais par l’Égypte, péril plus prochain, soit que les Russes occupent Constantinople, soit qu’en Asie-Mineure ils viennent à se rapprocher des côtes de la Méditerranée et par suite de l’isthme de Suez. En vertu de cet axiome de la sagesse antique : Principiis obsta, la base de toute la politique anglaise en Orient était donc de s’opposer à tout ce qui peut favoriser l’extension du territoire ou de l’influence de la Russie. D’après O. K., ces craintes n’ont aucun fondement. Elle s’efforce de prouver, l’histoire en main, que jamais la Russie n’a songé à occuper Constantinople. En 1828, l’armée russe victorieuse n’avait qu’à y entrer. L’empereur Alexandre se contenta, au traité d’Andrinople, de stipuler des garanties en faveur des sujets chrétiens du sultan, et cependant Wellington croyait qu’il aurait mieux valu dès lors en finir avec l’empire ottoman[1], et lord Holland disait en plein parlement : « Comme citoyen du monde, je regrette que les Russes n’aient pas pris Constantinople[2]. » En 1833, des troupes russes occupèrent Constantinople pour défendre le sultan contre l’armée victorieuse de Méhémet-Ali. Lord Palmerston, en justifiant l’acquiescement donné par l’Angleterre à cette mesure, disait : « Je doute que le peuple russe acceptât le transfert du pouvoir et de la résidence impériale dans les provinces méridionales, conséquence inévitable de la conquête de Constantinople par la Russie, et si nous avons consenti à l’occupation temporaire de cette capitale par les troupes russes, c’est parce que nous avons pleine confiance dans la bonne foi de la Russie, qui ne tardera pas à rappeler ses troupes. » C’est ce qui eut lieu en effet.

Dans la fameuse conversation où l’empereur Nicolas exposait à sir Hamilton Seymour, avec une prévoyance que les événemens ont si complètement justifiée depuis, la nécessité de s’entendre pour le cas de décès de « l’homme malade, » il déclara formellement qu’il n’avait nulle intention de réclamer Constantinople pour lui. Dans une dépêche en date du 18 mai 1877, le prince Gortchakof s’exprime ainsi : « En ce qui concerne Constantinople, le cabinet impérial ne peut que répéter que l’acquisition de cette capitale est exclue des vues de sa majesté l’empereur. Nous reconnaissons qu’en tout cas, l’avenir de Constantinople est une question d’intérêt commun qui ne peut être réglée que par une entente générale. Ce qui doit être admis, c’est que cette ville ne peut appartenir à aucune des grandes puissances. »

En 1878, au moment où les armées russes allaient franchir le

  1. Wellington Despatches, t. VI, p. 219.
  2. Thirty Years of foreign Policy, p. 115.