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armée de 60,000 hommes, que payaient les Grecs, bat les Bulgares, prend toutes leurs places et occupe leur pays. Zimiscès s’effraie de ce redoutable voisinage et réclame l’évacuation de la Bulgarie. Sviatoslaf répond en menaçant Byzance. La guerre éclate, et les Russes, vaincus à Silistrie, malgré leur bravoure, sont rejetés au-delà du Danube en 972. Soixante-dix ans plus tard, Yaroslaf le Grand, le Charlemagne de la Russie, envoie une expédition contre Constantinople. Mais les tempêtes de l’Euxin, le feu grégeois et l’épée de l’empereur Monomachus anéantirent les bandes russes, et huit cents prisonniers, les seuls survivans, conduits à Byzance, eurent les yeux crevés. Ce fut la dernière tentative de conquête faite au moyen âge.

La puissance de l’attrait que Byzance exerce sur Moscou vient de la religion. Constantinople et le temple de Sainte-Sophie sont pour l’orthodoxie grecque ce que Rome et l’église de Saint-Pierre sont pour le catholicisme ; c’est la ville sainte, la source et le centre de la foi. C’est de là que les apôtres Méthode et Cyrille ont apporté le christianisme aux Slaves du culte grec. A ces sentimens mystiques sont venus se joindre plus récemment les sympathies pour « les frères » d’au-delà du Danube et les exaltations de la théorie des nationalités dites ethnographiques. En 1786, Joseph II et Catherine II s’entendent pour détruire et dépecer l’empire ottoman. Chose curieuse, ce projet attribuait à l’Autriche à peu près ce qu’elle semble convoiter aujourd’hui : la Dalmatie, qui alors appartenait à Venise, la Bosnie, l’Herzégovine et la Serbie. On aurait donné en échange aux Vénitiens Chypre, la Crète et la Morée. La Russie se serait avancée jusqu’au Bug et aurait eu quelques îles dans l’Archipel. Enfin on aurait reconstitué l’empire grec, avec Constantinople comme capitale, au profit du grand-duc Constantin, le second fils de Paul Ier. La résistance des Turcs fut telle qu’il fallût renoncer à les exproprier.

En 1807, nouvelle tentative à Tilsit. L’empereur Alexandre réclame toute la partie orientale de la Turquie avec Constantinople. Napoléon ne voulut abandonner que les principautés et la Bulgarie jusqu’aux Balkans. Posant le doigt sur la carte à l’endroit du Bosphore, il s’écria : « Constantinople ! Constantinople ! jamais ! C’est l’empire du monde. » Depuis lors, tout porte à croire que la Russie à renoncé à s’emparer prématurément d’une position où elle ne pourrait se maintenir, et depuis la formation du nouvel empire d’Allemagne, elle en est certes plus éloignée que jamais. Son dessein. actuel semble être d’affranchir les Slaves dans la Turquie d’Europe et de s’approcher du Bosphore par la Turquie d’Asie, en s’avançant peu à peu le long des côtes de la Mer-Noire. Ce chemin, qui paraît plus long, a ce grand avantage qu’il n’alarme pas