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de la veille, l’Angleterre, un éloquent et puissant avocat dont les bonnes raisons peuvent être au besoin appuyées par la forte voix des cuirassés. L’ambition de l’Autriche n’aspire pas pour le moment à sortir du domaine économique, et tout ce qu’elle veut, semble-t-il, c’est la construction du chemin de fer qui, par Belgrade, Nish et Uskub, aboutira à Salonique. Or c’est la Staats-Bahn autrichienne qui l’exécutera probablement. Mais n’y a-t-il pas à craindre que le cabinet de Vienne, continuant la politique condamnée du cabinet tory, soutienne les Turcs et se trouve ainsi en opposition avec l’Angleterre et la Russie ?

Le nouveau chancelier, le baron de Haymerlé, est un esprit net et clairvoyant. Il a longtemps habité l’Orient, dont il parle toutes les langues. Il sait que le gouvernement turc a été placé dans des conditions qui rendent son existence impossible. Comment donc irait-il s’appuyer sur ce qui s’écroule, avec la certitude d’attirer sur lui l’animadversion et les colères de tous les Slaves, non-seulement des jeunes états des Balkans, mais des Slovènes et des Tchèques récemment réconciliés et qui désormais élèvent la voix au sein du Reichsrath ? Il est impossible que le cabinet de Vienne, cédant aux influences égoïstes du magyarisme le plus étroit, s’aliène les sympathies de la majorité de ses sujets pour prolonger de quelques années l’agonie de « l’homme expirant. » Au fond, lord Salisbury avait raison. La mission de l’Autriche est de constituer en Orient un second empire slave, et l’intérêt évident de l’Europe est qu’elle y réussisse. Je prie les adversaires de l’influence autrichienne, et spécialement M. Gladstone, de ne pas s’en tenir à l’heure actuelle, où il faut en effet constituer d’abord une Bulgarie autonome et unie, mais de considérer un instant l’avenir. Si nous jetons les yeux sur une carte ethnographique, nous y voyons un territoire slave qui s’étend depuis la mer Adriatique, la Mer-Noire et la mer Egée jusqu’au pied des montagnes qui séparent la Bohême de la Saxe. Ce territoire est habité par 24 millions d’hommes de même race, mais séparés par des frontières artificielles : 16 millions en Autriche, 8 millions en Turquie et en Serbie. D’autre part, en Roumanie, en Transylvanie et en Hongrie, nous trouvons un groupe parfaitement compact et arrondi de 8 millions de Roumains, dont 3 millions en Autriche. Quand on voit avec quelle puissance agit aujourd’hui la loi « des grandes agglomérations, » peut-on douter que ces groupes ethnographiques tendent à constituer un jour des unités politiques ? Il y a là à l’œuvre une force latente, incompressible, que tout seconde : les progrès de l’instruction, des échanges, de la richesse, de la démocratie, — qui grandira donc avec la civilisation et qui poussera invinciblement l’Autriche à s’étendre ou à se disloquer. L’occupation de la Bosnie, malgré les