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les mœurs. On aurait dans ce dernier ouvrage l’état des résultats acquis à la science de l’antique Orient vers la fin du xviiie siècle, s’il ne fallait, par malheur, se défier de Voltaire et de sa fâcheuse manie de dresser les faits en batterie contre le christianisme plutôt que de les exposer selon leur vérité. M. Mohl a donc pu dire avec raison que «  « sir William Jones fut le premier à considérer la littérature orientale comme un tout immense destiné à servir de base à l’histoire de l’humanité, et dont chaque partie devait concourir à éclairer tout le reste. » Il faut inscrire au-dessous du nom de William Jones les noms presque aussi célèbres des Wilkins, des Colebrooke, des Wilson, plusieurs autres encore.

Leur exemple ne porta pas ses fruits tout d’abord, ou du moins, comme on se l’explique sans peine, il y eut quelque hésitation et quelque lenteur au début d’une étude aussi nouvelle que l’était celle du sanscrit. Cependant une autre initiative était déjà partie de France. L’expédition s d’Égypte avait attiré l’attention sur un autre point de ce mystérieux Orient, et tandis qu’on se livrait à des spéculations encore un peu vaines sur les hiéroglyphes, Silvestre de Sacy formait « une école qui renouvelait dans toute l’Europe l’enseignement de l’arabe et lui donnait une précision qu’il n’avait jamais eue. » M. de Hammer, vers le même temps, en Allemagne, faisait pour l’histoire politique et morale des Arabes, des Persans et des Turcs ce que Silvestre de Sacy faisait pour l’enseignement de la langue et de la littérature. L’un et l’autre émancipaient pour toujours les littératures orientales de la dépendance des études théologiques. Je vois dans un des Rapports de M. Mohl qu’à peine M. de Hammer fut-il mort, en 1856, d’autres arabisans l’attaquèrent avec une grande violence sur l’inexactitude ou la liberté de quelques traductions qu’il avait données de l’arabe. M. Mohl le défendit avec une généreuse vivacité. Je relève le traita parce qu’au fond ce qu’on attaquait en la personne de M. de Hammer, c’était sans doute le traducteur inexact, mais c’était surtout l’historien, c’était l’esprit investigateur et généralisateur. Le grand défaut des érudits, peseurs jurés de syllabes, c’est d’affecter une grande peur avec un grand dédain des idées générales ; comme s’ils avaient à craindre, en vérité, pour la plupart, d’en avoir trop ! Et sitôt qu’un des leurs essaie de voir large et loin ; sitôt qu’il né livre pas tels quels, sans explication, préface, ni commentaire, à l’état brut, pour ainsi dire, les résultats de ses recherches, sitôt enfin qu’il cherche visiblement à joindre deux idées bout à bout, il faut qu’il soit bien grand, et son autorité consacrée par des travaux bien solides pour qu’une espèce de haro ne fonde pas sur lui des quatre coins de l’Europe. Je constate avec plaisir que M. Mohl n’a jamais été de cette école. Et son autorité vaut bien, je crois, celle de plus d’un autre.

Ce n’est pas seulement par l’enseignement de Silvestre de Sacy que