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aventure. Certainement la France, par tous ses souvenirs, par ses traditions, par une sorte de culte d’esprit, a les plus vives sympathies pour la Grèce ; elle désire tout ce qui peut aider à la fortune de ce jeune royaume hellénique qu’elle a contribué à créer autrefois ; mais ces sympathies ont des limites. La France, dans sa position, ne peut pas se prêter à de nouveaux démembremens d’un empire vaincu, cet empire s’appelât-t-il la Turquie : ce n’est ni son rôle ni sa politique. De plus, elle n’est sûrement pas intéressée à hâter le partage de l’Orient, à se laisser entraîner dans des événemens qui ne répondent ni à ses vœux ni à sa situation présente. Son intérêt, c’est de ne pas se séparer des autres puissances, — à la condition cependant de ne pas engager à leur suite ses forces et sa politique dans des aventures sans profit pour elle.

Ce n’est pas d’hier que ces grandes et malheureuses affaires d’Orient sont le péril, l’embarras ou l’ennui de l’Occident, et ce n’est pas de sitôt qu’elles cesseront de peser sur la diplomatie des cabinets, sur la politique du monde. Ce sont des affaires avec lesquelles l’Europe est obligée de s’accoutumer à vivre, comme il faut qu’elle s’accoutume de plus en plus, dirait-on, avec ces questions religieuses qui prennent une importance et une vivacité croissantes dans la plupart des pays. Elles apparaissent presque partout, ces questions, tantôt sous la forme d’un incident curieux dans le parlement d’Angleterre, à l’occasion de l’admission d’un athée, M. Bradlaugh, refusant le serment au nom de Dieu, tantôt sous la forme de la loi ecclésiastique qui vient d’être discutée et votée à Berlin, — tantôt sous la forme d’un conflit diplomatique suivi d’une rupture entre la Belgique et le Vatican. M. Bradlaugh a fini par être admis dans la chambre des communes sur une déclaration sommaire d’allégeance ; mais voici que de simples citoyens anglais, s’armant de la loi anglaise, traduisent M. Bradlaugh devant la cour du banc de la reine pour exercice illégal du mandat parlementaire, et rien n’est terminé. La loi ecclésiastique soumise au Landtag de Berlin a été votée tant bien que mal ; mais la situation religieuse de la Prusse n’en est pas mieux éclairée. Le cabinet de Bruxelles a rappelé son ministre auprès du Vatican, M. d’Anethan ; il a congédié le nonce pontifical accrédité auprès du roi Léopold ; mais la question n’en est pas plus simple pour la Belgique. Au fond, tous ces incidens se rattachent à une lutte sans fin et sans issue, où ceux qui auront le courage de s’élever au-dessus des passions du moment, ceux qui sauront montrer le plus de prudence, le plus de tolérance, le plus de supériorité, d’équité libérale, auront toujours raison.

Chose curieuse, c’est M. de Bismarck qui, un des premiers, il y a sept ans, a donné le signal des conflits religieux par ses lois de mai 1873 ; c’est le chancelier d’Allemagne qui a ouvert de son propre mouvement la guerre du « Culturkampf, » la campagne contre ce qu’on appelle le « cléricalisme, » et c’est lui maintenant qui, un des premiers, sans