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changemens de détail. Quand viendra « le téméraire, ou plutôt le vaillant, » comme dit Corneille, qui songera moins à la lourdeur de la tâche qu’au plaisir et à l’honneur de l’entreprendre, ne dût-il pas avoir la joie de l’accomplir et de l’embrasser tout entière ?


II

L’Histoire de l’art chez les anciens, de Winckelmann, publiée en 1764, est un de ces livres rares qui marquent une date dans les annales de l’esprit humain ; aujourd’hui même, après un siècle révolu, on ne saurait l’ouvrir sans une sorte d’émotion respectueuse. C’est là que l’on voit paraître pour la première fois cette idée, aujourd’hui familière à toutes les intelligences un peu cultivées, que l’art naît, grandit et s’abaisse avec la société où il fleurit, pour tout dire en un mot, qu’il y a une histoire de l’art[1]. Ce grand érudit, dont l’Allemagne fête tous les ans la mémoire comme celle du père de l’archéologie classique, ne se contenta pas de poser un principe ; il en tira lui-même les conséquences ; il traça les cadres de la science qu’il fondait ; il travailla à les remplir. Cependant, après un siècle révolu, cet ouvrage mémorable marque plutôt une date qu’il n’est capable de satisfaire la curiosité de nos contemporains. Winckelmann n’a connu l’art égyptien que par les pastiches de l’époque romaine, par les figures qui, de la villa d’Hadrien, avaient passé dans le musée du cardinal Albani ; la Chaldée et l’Assyrie, la Perse et la Phénicie n’existaient pas pour lui. La Grèce même, il ne la connaissait pas tout entière. Les vases peints dormaient encore dans l’ombre des nécropoles étrusques et campaniennes ; le peu d’entre eux qui s’en étaient échappés n’attiraient pas encore une attention sollicitée par des monumens qui tenaient plus de place et qui flattaient davantage le regard.

C’est surtout aux ouvrages de la statuaire que Winckelmann s’intéresse ; ce sont eux qui lui suggèrent ses jugemens ; or, même sur ce terrain, il est mal renseigné. C’est qu’il n’a jamais sous les yeux que ces figures, presque toutes de provenance inconnue, qui remplissent les collections italiennes, figures dont la plupart étaient

  1. Cet ouvrage (Geschichte der Kunst des Alterthums) a été traduit trois fois en français. La première version, publiée du vivant même de Winckelmann, a été désavouée par lui et fourmille d’erreurs et d’inexactitudes. La seconde a été donnée par Huber, à Leipzig (1781, 3 vol. in-4o) ; elle est déjà très supérieure. La troisième la meilleure, de Jansen, a paru à Paris (1798-1803, 3 vol. in-4o). A l’histoire de l’art se rattachent les Remarques sur l’histoire de l’art (1767, in-4o, en allemand). C’est une sorte de supplément au grand ouvrage dont Winckelmann voulait donner une nouvelle édition, que l’a empêché d’achever sa mort tragique et prématurée. On fera bien aussi de lire la préface des Monumenti inediti (Rome, 1867, 2 vol. in-f°, avec 208 planches). Nulle part Winckelmann n’a mieux exposé sa méthode.