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Pendant que se déroulait ainsi, comme feuille à feuille, le livre des antiquités orientales, celui de l’antiquité classique ne livrait pas à la curiosité des secrets moins intéressans et des documens moins curieux.

C’étaient d’abord les marbres du Parthénon que lord Elgin cédait au Musée britannique en 1816. Devant les bas-reliefs de la frise et les statues des frontons, artistes et savans, après quelques hésitations, s’accordaient à reconnaître que rien de pareil n’était encore entré dans les galeries de l’Europe. Les artistes avouaient avoir acquis le sens d’une beauté nouvelle, supérieure à tout ce qu’ils avaient admiré et vanté jusqu’alors ; pour la première fois, ils contemplaient face à face la vraie beauté grecque telle qu’Athènes l’avait conçue et réalisée dans une de ces heures où, les dernières duretés de l’archaïsme une fois effacées et ses dernières raideurs assouplies, l’art atteint la perfection. Ces heures sont courtes et fugitives ; une génération a touché le but et souvent celle qui la suit le dépasse déjà et commence à glisser sur la pente de la décadence. Pendant une ou deux vies d’homme, on voit naître en foule des œuvres qui, malgré la différence des matériaux et des sujets, ont toutes un même caractère de noblesse aisée et franche, de libre sincérité, d’élégance sévère, de simplicité dans la grandeur ; puis, pour faire baisser le niveau, il suffit de la mort ou parfois même de la vieillesse d’un des maîtres qui ont donné ces beaux exemples. La noblesse tourne à l’emphase et à la recherche de l’effet ; sous prétexte d’être sincère, on copie servilement la nature ; on tombe dans la manière, dans ses mollesses et ses procédés expéditifs. En Grèce, l’art s’est maintenu plus longtemps sur les sommets qu’il ne l’a fait partout ailleurs ; on n’ose pas prononcer le mot de décadence à propos des ouvrages si admirables encore des maîtres du ive siècle ; cependant, on ne saurait le nier, tant que les modernes ne connaissaient pas les monumens authentiques du siècle de Périclès, il leur manquait, pour se faire une juste idée du génie plastique de la Grèce, ce que ce génie même avait produit de plus élevé, de plus puissant et de plus pur. Leur situation était celle où se trouverait l’historien des lettres grecques s’il lui fallait retracer les destinées du théâtre attique, sans avoir lu Sophocle, sans posséder l’Électre et l’Œdipe-roi.

Une fois l’attention tournée de ce côté, les découvertes et les conquêtes se succédaient rapidement. Les figures des frontons d’Égine, si bien restaurées par Thorwaldsen, venaient former le premier noyau du musée de Munich[1]. En les étudiant on se rendait

  1. Elles avaient été trouvées en 1811 dans les ruines d’un temple à Égine par une société de fouilleurs à la tête de laquelle était l’architecte anglais Cockerell ; elles furent acquises en 1812 par le prince Louis de Bavière, et Thorwaldsen, à Rome, passa plusieurs années à en rapprocher les morceaux et à les restaurer. Ce fut en 1820 qu’elles furent exposées dans la Glyptothèque de Munich, telles qu’on les voit aujourd’hui.