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lentes actions de la nature à les user, il y en aurait toujours quelques-uns qui, par un concours de circonstances favorables, trouveraient moyen d’échapper. De chacun de ces types tirés à tant d’épreuves, il resterait au moins quelque échantillon.

Ce qui devait aussi beaucoup aider à préserver ces objets, ce sont leurs dimensions mêmes, c’est le peu de place qu’ils tenaient. En temps de guerre et de révolution, les pauvres et les humbles se dérobent aisément aux catastrophes qui frappent les riches, les puissans, les personnages en vue ; ils ne donnent pas sur eux prise à l’ennemi. Il en a été de même pour tous ces petits monumens ; leur ténuité les a cachés et sauvés, dans les désastres où s’est abîmée la civilisation antique. Bien plus nombreux et bien moins exposés que les chefs-d’œuvre du grand art, quand ceux-ci périssaient, ils ont survécu. L’édifice que renversait la haine nationale ou le fanatisme, en s’écroulant, les ensevelissait sous ses décombres sans les détruire ; ils s’enfonçaient dans la poudre des ruines et s’y dissimulaient aux regards comme dans l’attente de temps meilleurs, quand, dans les villes livrées au pillage, l’incendie dévorait les tableaux des maîtres ou que des soldats grossiers les crevaient dans leurs jeux, quand les statues tombaient sous le marteau des chrétiens ou que, plus tard, pendant le moyen âge, tous les marbres étaient jetés pêle-mêle dans la flamme du four à chaux.

C’est ainsi que tant de légers et fragiles produits des industries de luxe ont pu traverser les siècles et parvenir jusqu’à nous pour nous faire connaître des formes de l’art antique, des modes de la vie et de la pensée des anciens que, sans eux, nous eussions toujours ignorés. Je ne prendrai que deux exemples. Les vases peints, sans parler des scènes de mœurs qu’ils nous retracent souvent, ne nous offrent-ils pas plus d’un mythe dont la trace ne nous avait été conservée ni par la poésie, ni par la statuaire ? Quant à ces terres cuites que les figurines de Tanagre ont mises à la mode, on peut juger, par les récens travaux de M. Heuzey, du parti qu’en tirent aujourd’hui les érudits qui ne peuvent, comme les riches amateurs, les payer presque au poids de l’or, mais qui les comparent entre elles et qui les étudient dans le dernier détail[1]. Classées, par ordre de provenance, dans les musées qui se les disputent aujourd’hui comme on faisait autrefois les statues, ces statuettes ont montré combien étaient étroites et insuffisantes les formules par lesquelles les premiers historiens de la plastique avaient prétendu

  1. Recherches sur les figures de femmes voilées dans l’art grec ; Paris, 1873, in-4o. Recherches sur un groupe de Praxitèle d’après les figurines de terre cuite ; Paris, gr. in-8o, 1875. M. Heuzey prépare le catalogue des terres coites du Louvre et a commencé la publication d’un album où sont reproduits avec une intelligente fidélité les plus beaux de ces petits monumens.