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n’est pas là pourtant un pur travail de compilation ; tous ces antiquaires étaient loin de s’accorder toujours sur la date et la signification des monumens qu’ils avaient décrits ; il fallait choisir entre leurs hypothèses, et parfois même les écarter toutes. En pareil cas, Ottfried Muller prend presque toujours le parti le plus judicieux, et souvent l’opinion à laquelle il s’arrête lui appartient en propre. Sans entrer dans de longues discussions, il la soutient en quelques lignes par d’assez bonnes raisons pour que, presque toujours, elle ait mérité de prévaloir. Toutes les œuvres importantes qui caractérisent un siècle et une époque, ce n’est pas sur la foi d’autrui qu’il les apprécie. Sans doute le cadre de son livre ne lui permet pas de se répandre, comme fait Winckelmann, en élans d’enthousiasme, ni de recommencer ces descriptions brillantes qui nous paraissent peut-être aujourd’hui un peu trop montées en couleur ; mais, jusque dans la brièveté de ses jugemens, on sent la sincérité d’une émotion toute personnelle ; on devine combien il a l’esprit indépendant, le goût vif, large et pur.

Nous ferons donc bon marché de toutes les critiques qui portent sur l’ordonnance même du livre ; son vrai, son seul défaut, c’est d’avoir été écrit trente ou quarante ans trop tôt. C’est en 1835 que Muller donnait, soigneusement révisée et très augmentée, la seconde édition de son manuel, la dernière qui ait paru de son vivant. Depuis ce moment, bien des monumens grecs, étrusques ou romains sont sortis de terre et sont entrés dans les musées. Si pourtant l’archéologie n’avait pas fait d’autres découvertes et d’autres conquêtes, il aurait suffi, pour tenir le manuel au courant, de quelques retouches et de quelques additions ; c’eût été un travail à recommencer tous les dix ou quinze ans. Avec un peu de soin, tout éditeur intelligent se serait acquitté de cette tâche à la satisfaction générale. Pour toute la période gréco-romaine, les monumens, à mesure qu’ils paraissaient au jour, seraient venus prendre, comme d’eux-mêmes, leur place dans les séries. Welcker a bien publié, en 1848, une troisième édition, corrigée et complétée en partie d’après des notes manuscrites laissées par l’auteur sur son exemplaire interfolié, en partie par des informations que l’éminent éditeur avait tirées du riche trésor de ses lectures et de sa science ; mais pourquoi Welcker, dans son avertissement au lecteur, déclare-t-il que, s’il n’eût été retenu par le respect qu’il devait à une œuvre déjà devenue classique, il aurait cru bon de la modifier bien plus profondément qu’il n’a osé le faire ? Pourquoi Stark, sollicité par un libraire d’entreprendre une nouvelle révision du Manuel, avait-il trouvé plus utile, et même, dans un certain sens, plus facile de composer un ouvrage original, un autre manuel, qui répondrait aux